La vallée des roses
Dans
la vallée du Dadès, sous une nuit étoilée, d’une obscurité noire, parfois bleutée ; la terre, aride, suait
la mort jusqu’aux olympes. Pendant près d’un an, les nouveaux nés mouraient,
les uns après les autres, ensanglantant d’un grand pas les champs de blé, où
les andrènes bourdonnaient délicatement autour des roses de Damas. Cette terre glacée,
que l’on gorgeait d’engrais à chaque printemps, pleurait les âmes perdues, dans
l’ombre des tiges de prêle, trépignées. Et il arriva qu’on ne sentît plus, en
traversant le douar, que les senteurs acérées des roses musquées sauvages, d’un
rosâtre sombre, voilaient les végétations noires et abondantes. Aucune aube ne
blanchissait dans le ciel mort. Aucune. La terre battue, d’une aridité surprenante,
se mêlaient aux pleurs des femmes, venues s’y recueillir, à leur insu, pleurant
leurs enfants dans un léger frissonnement,
la mine blafarde, comme prises de spasmes musculaires. Ce décor, à la fois étrange et sombre,
peignait mes aspirations dans un silence de mort, rouge vif….
Au soleil
couchant, malgré le froid pétillant du dehors, peut être doux, je rejoignais
mes amis, Lahcen, Houssain et Ilmas, assis sous les arbres ; éreintés par
le manque de travail, avec un sourire à la fois douloureux et malsain, sans goût,
la tête basse. On aurait dit de vieux ivrognes, pressés de mourir, le cœur serré
d’une fureur d’anéantissement. On ne pouvait
faire le tour du village sans y rencontrer, dans l’ombre de chaque arbre, un rêveur
solitaire ; un de ces poètes perdus frôlant lentement, et sans bruit, la douceur
d’une nuit paisible, à la quête d’une vie meilleure pour calmer leurs peines. Mes
amis ne travaillaient pas. Ils avaient dû se contenter de cueillir des roses,
et d’en préparer une essence qu’ils vendaient à des associations pour quelques dirhams,
vivant ainsi d’une maigre rente. Vêtus d’une Djellaba en laine, ils finissaient
par partir les uns après les autres, avec une muette joie. Leurs cœurs étaient
tristes. La réjouissance qu’ils savouraient délicatement à s'accoler les uns contre les autres, le regard morne, avait le
charme aigre d’un adieu, vers une terre dont ils ignoraient tout. Certains chanceux,
sous la lune claire et gelée, atterrissaient en Europe, d’autres, moins chanceux,
disparaissaient sous l’amertume d’un silence morose qui bercerait délicatement les
rêveries de tout un village, à tout jamais….
On eût dit une vallée enchantée, épaissie
par les grains de neiges, où vivait dans une tristesse étrange, tout un peuple
d’ombres oubliés, bloqués dans une sphère parallèle en cristal. Comme l’école la plus
proche était à des années lumières de notre Douar, les plus jeunes descendaient
à la rivière pour y jouer, sous la gravité de la pluie des sources, d’un
battement empressé. D’une effronterie crédule, ils passaient de longues heures à
cueillir des rosâtres, avec une saveur doucereuse d’été. Parfois aigrie. Doucereuse et très suave.
Un instant, le regard noyé dans la noirceur absolue, d’un grand silence, je
revoyais ma vie défiler hâtivement, des parents meurtris par la misère, et deux
petites sœurs, dont les prunelles des yeux luisaient à la lumière du jour, pareilles à des étoiles scintillantes. Quelque chose de
sombre brûlait en moi, empoignant mes espérances vers un désespoir rouge. Oui, j’étais
si désespéré, l’unique chance qu’il me restait, était de partir, au risque de
ne jamais pouvoir revenir. Mais une âme malheureuse
qu’on a retranché de la société humaine, n’aura jamais assez de cran pour
partir. Jamais. A quoi bon vouloir partir finalement, sous le ciel blafard, filant
à l’infini avec la perspective de ses bordures d’un vert émeraude?
Qui suis-je finalement ? Un berger d’une imagination riante, que rien
ne semblait plus arrêter. Un poète perdu à ses heures de gloires, songeant violemment à son
village perdu, enseveli sous la blancheur éclatante des lilas. Un rêveur damné,
noyé dans les enfers, au
milieu de continuels obstacles. En sortant d’une savoureuse
désillusion, pieds nus, en me voyant flâner parmi les
roses de Damas, au loin parmi les vastes terres
qui ceinturaient la vallée des roses, je compris finalement dans la
confusion la plus totale, que cette terre, bien aimée, criait revanche
et liberté, d’un air de désespoir rouge….et infini...
Aux oubliés
De l'épine
croît la rose, et de la rose croît à nouveau l'épine.
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