Un fou parmi d'autres
J'ai parcouru dans ma tête plusieurs planètes, toutes différentes les unes des autres, dont la composition chimique, qui m'était inconnue, repoussait mes curiosités toujours plus loin. Loin, jusqu'aux éternités, par une indicible aménité. Pluton, Neptune, Jupiter, Mars, Vénus, parfois, j'allais jusqu'à fureter les galaxies de Seifert, sous la quiétude des étoiles bleutées. N'avait-il pas raison, Victor Hugo, en disant que bien lire l'univers, c'est bien lire la vie ? J'ai approuvé des hypothèses puisées dans des livres, et dont la complexité m'attirait hardiment. J'ai contesté des théories ambiguës, que tous semblaient partager. J'ai délaissé délicatement les observations d'un univers dont j'ignorais tout, pour livrer mon esprit à l’émotion plaisante que produisait sur moi l’ensemble de ce cosmos. Un cosmos vaste, comme les halos des flots, où les étoiles, se dilatant au loin, allaient enlacer les infinis avec soin. Ma première émanation, palpant mes fleurons sous le néant, fut de comprendre mon ignorance d'un monde phosphorescent, où vivait l'humanité, jusqu'aux arènes des éternités.
Mon esprit s’épanouissait dans cette quête. Loin des écoles de pensée établies, je préférais m’abandonner à l’émotion pure que m’apportaient ces visions célestes. Le cosmos m’offrait sa grandeur infinie, ses étoiles en expansion, s’étendant et se dilatant comme un souffle divin, dans un bal silencieux de lumière. Les infinis semblaient m’engloutir dans leur ballet, me murmurant des vérités qui échappaient aux hommes. Je n’étais qu’un jeune homme, mais déjà mes pensées débordaient. J’étais convaincu, presque magicien, de l’accélération de l’expansion de l’univers, un phénomène étrange et obscur, une énergie noire que les plus brillants astrophysiciens ne comprenaient pas. Cette théorie, que je portais comme une flamme sacrée, m’obsédait. Le cosmos semblait m’appeler, chaque atome, chaque particule, composait le tissu de l’infini, et pourtant… personne ne s’en souciait. L’univers s’étendait sous mes yeux, tandis que le monde autour de moi, indifférent, me rejetait. "Tu es fou", me disaient-ils, "Tes idées n’ont ni forme ni fond." Et, moi, je voyais bien que mes pensées étaient un océan de profondeur, un abîme dont personne ne voulait se rapprocher.
Pourquoi l’expansion de l’univers semblait-elle infinie ? Pourquoi la gravité attirait-elle, telle une force irrésistible ? Pourquoi les galaxies tournaient-elles sans fin sur elles-mêmes, comme prises dans une danse sans issue ? Pourquoi la lumière était-elle cette frontière infranchissable ? Et, plus encore, la question qui me hantait : Qu’est-ce que la vie sur ce bas monde ? Qui étais-je dans ce vaste tout ? Je devais comprendre. Et mes parents, eux, terrifiés par cette quête insatiable, croyant que mon esprit se perdait dans des abîmes trop profonds, m’emmenèrent voir un faquih. "C’est une possession démoniaque", disaient-ils, leurs visages crispés par la peur. Moi, je ressentais, dans leur regard, cette tentative désespérée de m’étouffer, de museler mes pensées. Mais rien ni personne ne pourrait étouffer la flamme qui brûlait en moi, délicatement. Je n’avais pas peur de la vérité, ni de ce que l’on pourrait me faire.
La vie me devenait un fardeau. Mon père, un homme de raison, dur et résolu dans son commerce, était dévasté par mon obsession pour les étoiles. Ses yeux, remplis d’incompréhension, se tournaient sans cesse vers moi, désespérés. "Tu es fou, mon fils", criait-il, en désespoir de cause. "Qu’importe si tu as raison, si tout le monde te rejette ? C’est ta folie qui te perdra !" Mais moi, j’étais ailleurs. Je m’échappais de leurs griffes, leurs jugements et leur ignorance, préférant m’élever dans un monde où la vérité régnait, là où mes pensées pouvaient s’épanouir en toute liberté.
Je n’eus d’autre choix que de partir. Loin. Très loin. J’étais parti, fuyant la pression constante de ma famille, l’écrasante responsabilité des attentes sociales. La vie, en ce moment-là, m’apparaissait comme un fardeau trop lourd, un poids sur mes épaules qui m’étouffait. J’avais besoin de silence, de solitude, de cet espace où mes pensées pouvaient s’épanouir librement, tel un navire prenant le vent, sans plus de retour. La quête d’un refuge était devenue une urgence intérieure, une nécessité. Je partis donc, sans un regard en arrière, vers un village reculé, à l’écart de tout. Non loin d’Essaouira, sur cette côte atlantique que j’avais toujours rêvée d’habiter, je trouvai un petit hameau isolé, plongé dans la beauté brute de la nature. Là, tout semblait me donner ce que je cherchais : la paix, le temps de réfléchir, le silence d’un monde indifférent aux tumultes de l’existence.
Là, les vagues qui se brisaient contre les rochers étaient ma compagnie. Le bruit incessant de l’océan, ce rugissement qui semblait venir des profondeurs mêmes de la terre, me captivait. Les étoiles, invisibles pendant le jour, imprégnaient néanmoins chaque brise, chaque souffle d’air, rappelant à mon esprit qu’elles étaient toujours présentes. La nuit, sous le ciel ouvert, je m’abandonnais à la contemplation, perdu dans ces vastes espaces célestes, comme si chaque étoile m’invitait à réfléchir davantage. Les habitants de ce village, simples et rustiques, étaient dominés par le rythme des marées, la lumière du soleil et la force du vent. Leurs vies se déroulaient lentement, comme une mélodie de gestes quotidiens et prévisibles. Personne ici ne cherchait à comprendre ce que j'avais à dire, personne ne voulait m'interroger sur mes pensées. Ils me laissaient être. Ils me permettaient de fuir, de m’échapper de la société, d’être ce que j’étais, un rêveur, un solitaire. Et dans ce silence, loin du monde agité, je pouvais enfin souffler et m’apaiser librement.
Les journées se succédaient, lentes et interminables, comme des heures suspendues dans un ciel obscur sans étoiles. Et moi, dans ce calme, je m’étais retrouvé. Parfois, je partais marcher le long de la plage, seul, le sable chaud sous mes pieds, et je me laissais absorber par l’horizon, cet infini où la mer et le ciel se confondaient. Là, tout semblait plus clair. Les questions qui m’avaient tourmenté dans le tumulte de la ville se dissipaient lentement. Le bruit des vagues, le souffle du vent dans les dunes, semblaient me murmurer des réponses. Peut-être n’étais-je pas destiné à résoudre l’univers comme une équation, mais à l’accepter comme il était. Simple. Naturel. Équilibré.
Un matin, alors que je contemplais l’immensité de la mer, un vieil homme s’approcha. Il s’assit près de moi sans dire un mot, son regard se fixant sur l’horizon, là où l’eau se perdait dans le ciel. Il attendit que le silence se fasse entre nous, puis, enfin, il parla, d’une voix douce, comme si ses mots étaient choisis avec une infinie précaution. "Tu n’es pas fou. Tu cherches la vérité dans l’invisible, mon jeune ami, mais elle est ici, devant toi. Dans ce que tu vois chaque jour. L’univers, il n’est pas dans les étoiles lointaines, il est ici, dans la lumière du jour, dans la mer qui te baigne, dans l’air que tu respires."
Ses mots frappèrent mon esprit avec une force telle que je n’aurais su en prévoir l'impact. Qui était donc cet homme, et comment pouvait-il paraître connaître si bien l’essence de mes tourments ? En un instant, ce que j'avais cherché pendant des années, ce que j'avais scruté dans l'immensité des cieux et dans les recoins les plus obscurs de l’univers, se résuma à une révélation aussi simple qu’évidente. J’avais couru après des réponses lointaines, cherchant des mystères d’un cosmos infini, persuadé que la vérité se dissimulait au-delà des frontières visibles, là où l’œil humain ne pouvait percer. Et pourtant, la vérité était là, toute proche, à portée de main, dans la brise légère qui effleurait ma peau, dans la clarté douce du matin, dans le cri lointain des oiseaux. Ce village, isolé et tranquille, m'offrait enfin une leçon que j'avais trop longtemps négligée : la patience, la lenteur, l’art de la contemplation. La grandeur de l’univers n'était pas dans des théories abstraites, dans des calculs impossibles à saisir, mais dans la simplicité brute de l'existence quotidienne. L’infinie beauté ne résidait pas dans des formules mathématiques, mais dans la lumière qui baignait ce monde, dans le souffle du vent, dans le clapotis de l'eau contre les rochers. Voilà ce que j'avais ignoré si longtemps. La vérité n'était pas dans l’inaccessible, mais dans l'ici et le maintenant.
La quête ne s'était pas éteinte, mais elle s'était transformée. Je n'avais plus besoin de percer l'invisible. Je n'avais plus à chercher une vérité cachée, elle m'était offerte dans chaque instant. L'univers, cet infini que j’avais cru devoir conquérir, était devenu une expérience vivante, palpable. Un souffle d’air, une vague, le regard d’un vieux pêcheur… Voilà tout ce que je cherchais.
Ainsi, dans ce recoin isolé de la terre, dans ce petit village d’Essaouira, j’avais enfin découvert ce que je n’avais pas su chercher : la paix intérieure, l’acceptation de ce qui est, de ce qui s'impose à moi, sans résistance. Qui suis-je vraiment ? Cette question que je m’étais obstiné à poursuivre à travers les galaxies et les mystères du cosmos, elle avait trouvé une réponse douce et implacable, au cœur même de ce lieu humble. Les étoiles, ces sphères lointaines et glacées, n’étaient plus des chimères inaccessibles à conquérir, mais des phares de lumière tamisée, simples et délectables, éclairant mes pas hésitants sur ce sentier de terre battue, fait de simplicité et de vérité nue. Dans ce village, loin du tumulte du monde, mes pensées se déposaient comme des feuilles mortes dans la brise acerbe de l’aube. Là, j’avais trouvé un refuge où je n’avais plus à courir sans fin après des réponses qu’aucune course ne pourrait apporter. J’avais trouvé la liberté, cette liberté qui n’est pas un cri dans la nuit, mais un silence profond où l'âme se repose, enfin apaisée, sans plus de quête ni de fardeau….
Aux âmes tourmentées,
Aux âmes libres…
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