Tilelli (Liberté)




Je n'ai peur de rien. Ni même de personne. De la peur même naît le courage d'être. J'ai parcouru bien des forêts épineuses, bien des déserts arides, où seule la folie, morne, poussait ma raison d'être vers un ciel âpre, sous lequel tout semblait insensé. Insensé, et complètement absurde, malgré mes véhémences. J'ai été battu à coups de couteau, dans la foule, pour avoir défendu des idéologies, des oppositions théoriques, auxquelles sont associées les libertés fondamentales. J'ai été arrêté pour m'être saoulé en public, songeant sobrement à ma dignité violée, cette lésion qu'il me fallait panser par quelques chopes de Mahia. J'ai été détenu pour possession de stupéfiants, alors que je n'avais pas de quoi fumer un gramme de haschich, au marché noir. Il fallait, pour défendre ses opinions, se heurter à une montagne noire, puis se laisser tomber dans une petite cavité, profonde. Profonde, au milieu des décombres. Ce soir là, j'ai compris ce que c'était que d'être courageux, le cœur vantard à tout rompre, jusqu'aux éternités damnées...



Personne ne m'a appris à lire, ou encore à écrire. Avec son allure de fermière, ma mère, illettrée, grondait mes sœurs lorsqu'elles ouvraient un livre, leur répétant sans cesse qu'il fallait se mettre à la cuisine,  jusqu'au jour où l'envie de les marier lui en serait venue. Est-ce qu'elles n'auraient pas du plutôt se rebeller contre ce destin acariâtre, qu'elles acceptaient en bonnes filles soumises ? Peut-être même avait-elles raison finalement. Oui, elles avaient sûrement raison. Malgré son tempérament rugueux, mon père, désespéré, ne put s'empêcher de s'opposer à celle qu'il voyait comme la femme de sa vie. Quatre fois déjà, qu'il s'était fait renvoyer pour ses problèmes d'alcoolémie, se plaignant de sa misère rouge, dans le grand froid de ses ivresses bleues. Pourquoi la chance des uns, pourquoi la déstresse des autres ? répétait-il, sans l'espoir d y répondre, d'un air violent. Violent et abattu. Mon père ne comprenait rien à la vie. Ni même à son destin. Plus grave encore, il n'osait débattre de ces pensées qui l'enthousiasmaient, la liberté, l'égalité, et la dignité de tous les hommes. À quoi bon, disait-il " Je suis un homme honnête, toi qui es intelligent, tu devrais comprendre " . Heureux de l'estime que je lui portait, il ne m'achetait que des livres. Des livres et des livres, dont les propos m'envahissaient malgré mon ignorance. Sans hésiter, j'apprenais tout par cœur, dans un mélange de poésie et de théories que j'avais du mal à appréhender. Puis, je m'étais habitué aux mots. Des mots, et des pratiques, que les philosophes n'auraient pu expliquer eux-mêmes. Diderot, Nietzsche, Spinoza, tous ceux-là étaient libres, cherchant à s'affranchir des rectitudes, au nom de la liberté. Ainsi, j’étais libre. Enfin...libre...




J'ai travaillé dans une usine de textile, avec un bruit assourdissant de machines à vapeurs, se dissipant dans l'épuisement qui nous frappait tous. Un par un. Des hommes tournaient sans cesse les machines, cousaient des poches de pantalons, brodaient des perles à l'aiguille, au milieu de cette amertume rouge, dont les âmes se révoltaient jusqu'aux infinis. Une misère, sous laquelle tous se tordaient de spasmes, et d'afflictions, mais que personne n'osait braver. Je tremblais à l'idée de reprendre ce travail. Parfois, j'allais même jusqu' à me souler des journées entières, décousant les boutons des chemises, rageusement. C'était le moyen le plus délectable de leur faire perdre de l'argent, qui depuis des années, nous revenaient tous de droit. Des lectures, 1001 mots me regagnaient, à genoux, devant tant de mépris. Des récits glorieux, où des hommes fiers, écorchés, se laissaient périr dignement, plutôt que de se soumettre aux ennemis. C'est ainsi, plein de rancunes, que j'ai dénoncé les injustices que nous subissions, las de supporter tant de dérisions. Sans rien attendre de plus, ils m'avaient arrêté, sans un auditoire, l'air désespéré. De toutes les charges qu'ils avaient prononcé à mon encontre, je n'ai retenu que " vol aggravé". Je ne crois pas avoir volé quoi que ce soit. Comment pouvais-je voler une tonne de marchandises dont j’ignorais l’existence même ?  La citation de Camus me taraudait l'esprit, par son indifférence facétieuse "J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre".  Craché, brutalisé, assailli, je puis alors souffler honorablement, jouir de qui je suis vraiment. Un homme affranchi. Honnête. À la vie, à la mort, libre. Voilà, pourquoi après avoir révéré ma liberté, à jamais illustre, je pouvais mourir, la tête haute jusqu'aux panthéons.....





« Notre âme ne peut pas mourir, la liberté ne meurt jamais. » Tarass Chevtchenko

 


A ceux qui sont morts pour avoir défendu la liberté.... 

Aux hommes fiers qui n'ont jamais baissé la tête....
A la mémoire de Achraf et des oubliés...
Aux esprits libres...
Aux inconnus...


 Yamna yellis n Moha


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