مدرستي
Je suis né dans une grande maison en ruines, aux
fenêtres brisées d'où soufflait un incessant courant d'air, balayant les grains
de poussière au loin. Très loin. Pauvre, j'injuriais ma providence d'une voix
dense. Et que ma détresse, où la mort planant comme un bosquet de lilas, fera
s'épanouir les écumes de buddleias, jusqu'aux sanctuaires de Delphes. Tandis
que le ciel bordait l'horizon de mes printemps, sous la fraicheur des herbes
foulées, il me semblait que j'étais l'homme ridicule de Dostoïevski. Oui, je
rêvais grand. Très grand. D'une intelligence enjouée, je voulais réparer les
démarreurs du tracteur de mon père, et en déduire un mécanisme ingénieux
capable de construire une machine à grains, afin de produire des céréales, et
de la farine autant que je le voulais. Enfin, je devais, disait-on, aller à
l'école, y trouver les réponses manquantes à mes questions. La physique, en
particulier, le comportement mécanique des machines, m'apportait des joies
inégales. L'idée était correcte. Seulement, c'étaient quatre ou cinq kilomètres
par jour pour atteindre l'école, quelques fois dix, en hiver. À quoi bon,
finalement?
Comme disait Yourcenar, il faut toujours un coup de
folie pour bâtir un destin. Désarmé devant la providence même, j’appris ainsi
par quelques réflexions que la connaissance est ancrée dans notre conscience,
et qu’il ne dépend pas des hommes de mépriser celui qui sait vouloir trouver
les réponses. Mon esprit demeurait embrouillé, n'osant risquer les réprimandes
de ma bonne fortune, je compris qu'il valait mieux aller à l'école, libéré à
l'égard de tous. Salah, notre instituteur, ne savait rien. Il ne comprenait
rien. Peut-être avait-il cru nous tromper par ses théories sur Descartes, qu'il
expliquait difficilement, en phrases dont le sens était confus. Il en était
simplement à dire que " Je suis, donc je fus" à longueur de journée.
Il dût avoir le désir exalté de nous initier à la philosophie existentialiste,
lorsqu'un manque de détermination l'arrêta, lui qui croyait enseigner une
classe, s'était retrouvé à enseigner tous les niveaux, et toutes les matières.
D'ailleurs, mes camarades semblaient ivres, l'air perdu, se grattaient les
cheveux, riaient eux aussi au bonheur de ne rien comprendre, puis se forçaient
à abandonner, par crainte d'échouer. Comme il n'y avait plus de chaises, on
s'étouffait les uns à coté des autres, bredouillant l'alphabet hâtivement jusqu'à ne plus
respirer. Au moins, on avait chaud. Très chaud. Mes copains comprirent, las et
désespérés, certains qu'ils n'avaient aucune chance, dans une cavité aussi
profonde. Une cavité, baptisée école du douar, que tous semblaient ignorer, où
l'on avait condamné tout un village, agonisant dans les ténèbres, à tout
jamais...
Et, dans ce paradis terrestre, où les étoiles se
dilataient au loin, allant enlacer les infinis avec soin, on se livrait à des
jeux d'enfants précoces, jusqu'au souk, où campait un double rang de marchands.
On troquait nos vêtements de laine contre des cigarettes, sans compter les
fruits de saison, qu'on offrait généreusement à notre directeur, qui s'était
mis en tête de nous utiliser d'une manière courtoise et éloquente. À force de
résolution, y avait réussi. Ce tyran, en apparence honnête, se réfugiant dans
un silence âpre de bureaucrate, nous traitait tous de 3roubia, nous racontait
qu'il avait eu pour disciples des citadins, devant lesquels il serait honteux
de nous présenter. Comment ? On pouvait bien appartenir au milieu rural, et
avoir une éducation ! Invraisemblable pour ses pairs ! Personne n'osait le
braver, seule les jolies filles pouvaient lui soutirer un sourire, tandis que
nous autres, pareils à des pantins, nettoyions les murs de bas en haut, à
genoux. La semaine ne pouvait s'achever
sans qu'il y eut une nouvelle tâche, l'éternel supplice, ce destin de polichinelles
poussant des écoliers dans ces fatalités de rôles, qu'on ne choisit que sous la
contrainte d'une vie galvaudée. Affamés, dégoûtés, on s'amusait par terre à
dessiner nos rêvasseries violées avec des cigarettes, d'un air abattu, ainsi
qu' à l'approche d'une pluie rouge. Rouge, d'où coulait un filet de laves
basaltiques, s'étalant en un frisson noir jusqu'aux horizons infinis. Une des
phrases les plus sincères que j'ai entendues de la part du directeur stipulait
que la vie était une école dont il fallait saisir toutes les chances. Que
fallait-il saisir exactement ? Du souffre ? Du hash ? Des pétrodollars ? Sans
doute, une dignité. Ainsi, que l'ignorance en soit réduite à se répandre, je me
refuse à étreindre une seule minute le savoir, dans de telles conditions...
“L’injustice agrandit une âme libre et fière.” Scheler
Aux hommes libres....
Aux opprimés....
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