Parole d'un homme qui n'a plus rien à perdre
Que
répondre à ces policiers, dont la voix aiguisée comme un couteau, sonnait
l'ordre de s'étendre par terre? Comment ne pas répondre d'une voix abattue,
quand on vous parle avec une indéniable agressivité ? Moi, je ne me suis jamais
considéré que comme un "chemkar mkete3". Souvent, à mon allure, les
gens fuyaient. Saisis de panique devant mon épée tranchante, ils m'offraient
d'un air d'aimable intelligence la totalité de leurs biens. J'occupais certaines
ruelles obscures des beaux quartiers, où je veillais des nuits entières pour
y attaquer les vampires numériques, ces suceurs de ressources naturelles. Dès
que, vaincu par la fatigue, je gagnais la plage de Oued Cherrat, longue de plusieurs
kilomètres, pour y répartir la richesse selon mon extrême justice, en assurant à chacun de mes
camarades une part de fortune. Et, de leur charité, de tout cet argent que nous
dépouillions, de l'injustice sociale qui rongeait la cohésion de notre société,
se dégageait surtout le mépris de leur intellection de créatures supérieures,
pour les pauvres ignorants, victimes de l'obscurantisme économique que nous
étions...
Je
n'ai pas connu mon père. Je ne sais pas son nom. Il ne sait pas le mien. Dans
mes rêves, il apparait d'une extrême douceur contre l'amour qui ne vient pas.
Ma mère ne parvenant à gagner de l'argent, qu'en se dévêtant entièrement devant
des hommes, comprit que cette nudité interdite, me vexerait. Alors, ayant
deviné que son corps, tantôt nu, tantôt allongé sous celui de ses amants d'une
heure, qui pouffaient d'aise de ses fesses
tombantes et flasques, nourrissait mes réflexions les plus criminelles;
m'envoya vivre chez ma grand mère à salé. Ce n'était pas qu'elle eût à
s'alarmer pour mes émotions, mais elle avait peur de moi. À cette nouvelle,
j'eus un instant l'envie de la décapiter à deux tranchants, sur son petit
ventre encrassé, et d'un poignard dans son sein. " Je jure devant dieu que
je te tuerai un jour Khadija. Oh ! Je te poignarderai dans les bras de tes
amants... Tu me fais honte yal ...." furent les derniers mots échangés avec
ma mère, jusqu' à ce jour. Au fond, ma mère n'était pas que mauvaise,
elle souffrait affreusement de la pauvreté dans laquelle elle vivait, mais
aussi de sa jeunesse perdue. Quelque chose dans la réflexion de sa dépression,
justifiait sa haine pour mon être. Elle ne prononçait jamais mon prénom, elle
avait à plusieurs fois répondu par " weld lhram" aux interrogations
du voisinage. Elle m'aimait pourtant, de tout ses cœurs déchirées par le sens
de la misère humaine. Oui, ma mère m'aimait...
Deux
heures venaient de sonner à la gare de Casablanca, lorsqu'une armée de
supporters du club des FAR-Rabat envahissaient de ferveurs les lieux. Une mêlée
des plus curieuses, une de ces réunions d'affaires où tous se retrouvent,
voyous, bandits, pickpockets, intoxiqués, escrocs, quelques violeurs, et
d'anciens camarades de la forêt Mamora. Jusqu' à seize heures, nous marchâmes ensembles à travers
les principales artères de Casablanca, pour joindre le stade Mohammed V. Au quartier Anfa, je frémissais
d'exaltation, du désir aussi de découvrir toutes ces maisons ornées de marbre,
ces voitures de courses empruntées à James Bond, et ces hommes à l'allure
épurée qui exaltaient le mésestime . Peu à peu, je me consumais d'une ardeur
austère, générant ainsi un ensemble de mouvements et d'insultes, qui
dégoûtaient les promeneurs. Dans ma croyance absolue à toute logique, je
restais pourtant surpris de constater un tel déséquilibre économique. Je venais
d'un système solaire lointain. Je venais d'une planète sushi en Atlantide. Je
venais d'un monde parallèle aux portes de Stargates. Je venais d'ailleurs, mais
pas d'ici....
N'est
ce pas abominable ce monde, où le filet de bœuf, le calamar fris, les bains de
minuit, les marques de vêtements, les voitures bonnes occasions, une chambre
individuelle, une armoire vide, une télévision couleur, un Smartphone, un parfum Gucci, un voyage à Merzouga, un passeport pour enfant
illégitime, le respect, l'éducation, l'enseignement, l'apprentissage, l'équité, la
droiture, l'intégrité, la justice, légalité, le diplôme, la fonction, le droit
n'existent pas ? " Vous voyez cette Lamborghini garée ? Avec ses allures
luxueuses : C'est un logement décent conforme aux normes de salubrité, des
repas quotidiens, et des vêtements chauds pour une trentaine de familles sans
abris vivant à l'intérieur des grottes, dans une région de l'Atlas...chafara
klaw lblad" rétorqua Redouane, d'un air furieux. Pourtant, c'était l'anarchie absolue,
dépouillée de tout modèle de société profondément égalitaire. Dès ce moment,
une colère collective l'emporta. L'horreur rouge de cette schizophrénie sociale
m'émouvait, et me propulsait vers une rage de destruction absolue. Je
m'acharnais au hasard contre quelques terrasses cafés, cognant des crânes à
coup de bâtons, et brisant des vitres avec des cailloux. J'étais empoigné par
ce besoin féroce de violenter, de tout casser, et de châtier ces zombies qui
avaient dévoré tant de chaire humaine. Ce jour là, on s'acharna au hasard, par
un champ de bataille béotien, contre des voitures, des innocents, des cafés,
des restaurants, des enseignes de magasins, trois gros chiens, et une femme.
Sous les azures de cette journée noire, le soleil rayonnait de vengeance. Notre
vengeance sur une existence abîmée et totalement gâchée. Notre vengeance sur
une société qui exclut les prototypes de ma race...
Après trois heures de châtiments, c'était la fin.
Les bêtes, étendues et tachées, n'avaient plus qu'un corps si impropre, que
personne n'en aurait donné un dirhams. Et si je me l'avouais finalement, nous
n'étions que de simples bêtes. Une bête pauvre, ignorante, et sauvage qui
s'efforçait de retrouver un espoir pour ne pas en finir avec la vie. Parole
d'un homme qui n'a pas peur du feu. Parole d'un homme qui ne craint pas le
froid. Parole d'un homme qui n'a plus rien à perdre....
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