Chroniques d'un diplômé chemkar II





Cela fait un moment, que je suis assis face à la mer. J'ai envie de nager, mais il parait que la mer est dangereuse. Ses eaux ont un goût de cadavres, et ses liquides giclent du chlorure rouge. Les vagues se forment délicatement, au large, par l'action du vent. Les rayons du soleil, s'éclipsent fastueusement, derrière les horizons. L'ombre d'un instant, je me suis rappelé du voyage, qui m'a conduit, ici, à Copenhague. Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. Un matin, j'ai annoncé à mon patron, que je méritais une augmentation de salaire. Le soir même, j'étais licencié. Mon salaire de serveur au "Tâcheron" ne couvrait pas les frais d'un père de famille respectable. L'argent me filait entre les doigts, d'un grand pas. Chaque fois que j'avais un billet en espèce, dans ma poche trouée, aux allures de mendiant récidiviste, je devais lui faire mes adieux. Je versais plus de 10% à mes parents, et je cédais les 3000 dirhams qui en restaient à ma femme.


J'ai quitté le Maroc à bord d'un conteneur de marchandises à destination de la méditerranée. J'étais enfermé dans le compartiment des machines, avec trois voyageurs clandestins, que je n'avais jamais vu auparavant. Un endroit des plus pénibles, où les flammes des enfers suppliciaient nos esprits, hardiment, sous la candeur d'un ciel vif. La vapeur produite par les turbines freinaient notre respiration, bien que les ventilateurs, dont la fonction était de refroidir les chaudières, fonctionnaient parfaitement. Le bruit des moteurs troublait notre rythme cardiaque, et accentuait la cadence de nos anxiétés, d'un air affable. Conserve-t-on la notion du temps lorsqu'on est claustrés dans un hamam beldi, pendant plusieurs jours ?  Absolument pas. La faim, la déshydratation, et les obsessions gagnaient du terrain, et empoisonnaient nos esprits, affectés par la souffrance, vers les éternités. Ces évènements eurent pour effet que je me suis promis, qu'un jour, je voyagerai légalement dans un bateau mouche. Au soleil, je bronzerai comme un touriste anglais, ensuite, je prendrai plusieurs centaines de photos que je garderai soigneusement pour Samira, et mon fils. Qu'ils soient fiers de moi.... pour une fois !

Nous quittâmes le bateau une fois à Cagliari, une petite ville italienne dans la région de Sardaigne. D'un pas désespéré, les yeux épuisés, nous marchâmes toute la nuit sans savoir aller, dans une ivresse noire, où la lune s'en allait au loin, exhaler les paradis, de ses astres égarés. D'après un proverbe touareg " Mieux vaut marcher sans savoir où aller que rester assis à ne rien faire." Partout nous passions, les gens nous fustigeaient d'un regard craintif, d'un jugement. Rarement, d'un regard affable, d'un sourire. Ils savaient que nous n'étions pas que de simples étrangers, cultivant l'esprit des édifices, se situant dans les quartiers historiques de la ville, croyant peut-être encore aux promesses, d'une vie éternelle. Malgré tout, ils nous offraient du pain à l'ail et au beurre, du café, et des euros pour achever notre route. Au cours de notre chemin, nous furetions toutes les occasions pour gagner de l'argent, rapidement, afin de payer un passeur qui allait nous conduire en France. Maudissant les théories de mes poètes perdus, mon diplôme en littérature française ne me servait à rien. Peut être qu'au pays de Molière je pourrai acquérir des connaissances des plus avancées, alliant une culture bigarrée, à une conscience poétique. Je pourrai alors vivre de ma plume, et inhaler le souffle de mes poésies à mes heures de gloire. Nous finîmes par arriver, Wael, Said, Karim, et moi à Sassari, un matin de printemps. Une jolie ville située au nord-ouest de l'ile pour y retrouver le passeur Égyptien qui allait nous éclairer jusqu’à la frontière espagnole, avant de pénétrer sur le territoire français. Toutefois, cet homme, exigeait que chacun de nous lui verse la somme de 4000 euros, et que nos chemins se séparent à Gerona. Sans attendre, Il emmena Said, Karim, et quelques ressortissants libyens ou mauritaniens, au loin, guidant le groupe à travers d'immenses étendues boisées vers l'est, puis, promit de revenir nous chercher, dans une quinzaines de jours. Pour survivre, nous lavions des ustensiles de cuisine dans des restaurants, nous transportions de la marchandise sur le dos pour des commerçants, et nous vendions quelques grammes de cannabis local à des étudiants. Il nous arrivait de dormir dans la rue, au bord de la plage, ou dans la forêt avoisinante. Moi, je préférais la plage. Son sable fin nourrissait hardiment l'espoir de mes convoitises. A mesure que le temps passait, l'azur du ciel s'attristait, et mes angoisses s'amplifiaient, encore plus. Un instant, je pensais qu’il serait mieux de monter à bord d'un bateau, et de s’en aller loin. Très loin. Peut être, au Maroc. J'avais appris par le facteur du village, que mes amis avaient été arrêté en lien avec une affaire de falsification de papiers à Valence. Nous n’avions plus aucune espérance d’aller jusqu’au bout de notre aventure. Nous devions simplement partir. Partir rapidement. Et ainsi nous arrivâmes en Toscane après plusieurs jours de dérive sur un radeau de survie. Wael ce jeune tangérois, parti s'installer dans une petite ville au sud de la Croatie, décidé à y devenir un grand producteur de musique. Il comprit que je ne le verrais plus. " Allah maak mon frère" furent les derniers mots que nous échangèrent cette nuit là, et à jamais....

Après un long moment de repos chez des amis à Rome, j'avais décidé d'embarquer vers les pays de l'Europe du nord. Les pays scandinaves arrivaient régulièrement en tête de ceux, où il faisait bon de vivre, et s'étaient sortis pratiquement indemnes de la crise économique. La citation de Leonard De Vinci  "Tout obstacle renforce la détermination. Celui qui s'est fixé un but n'en change pas" troquait vaillamment dans mes esprits. Rien ne me semblait difficile. Il n'y a que la douleur que je ne ressentais plus. De la nostalgie, mais aussi des chagrins. Le 18 Décembre! Cette date, s'étalera dans mes mémoires abattues, à jamais. Le 18 décembre! Le jour où j'étais presque au Danemark, à plat ventre, flânant délicatement jusqu'aux extrémités de la montagne. Je me suis d'abord installé à la campagne, puis à la ville de Copenhague. Les employeurs danois, sont très conscients de l'importance de préserver de bonnes conditions de travail, et de vie. Ils respectent la loi, estiment les étrangers, et octroient des salaires très honnêtes.

Je travaille actuellement dans une discothèque des plus populaires parmi les touristes. A ce moment, en écoutant du rai, je me senti si loin du Maroc, qu'une certaine nostalgie commençait par m'empoigner. Il me fallait dominer mes larmes pour ne pas pleurer. Pleurer l'immensité de mes afflictions. Pleurer le fils que j'ai abandonné nourrisson. Pleurer mes éclats de rire lorsque j'étais enfant. Pleurer mon âme de poète déchu. Pleurer le douar qui a baigné mon enfance. Pleurer mon avenir d'écrivain, maudit. Pleurer le petit garçon aux cheveux frisés, qui voulait devenir honnête. Pleurer la vie qui m a faite vagabond. Pleurer l'odeur du msmen que me préparait ma mère, au petit matin. Pleurer Wael, décédé, en mer méditerranée. Pleurer les voyageurs de la mort, emportés au loin, par les océans. Pleurer ma jeunesse damnée à jamais. Pleurer l'homme que je suis aujourd'hui. Pleurer mes ferveurs pour Baudelaire, Rousseau, et Hugo. Je les pleure tous. Un, par un. Comme c'est triste de quitter tout cela, pour recommencer une autre vie. Non. Je n'ai plus de force pour tout recommencer. Ils sont loin, mes 18 ans. Mes plus belles années, je les ai passées, ici, soûl et grisé. Ma conscience et moi sommes en paix après tant d'égarement. J'ai retrouvé ma plume, en cherchant ma liberté. Quand pour la première fois j'arrive à écrire depuis très longtemps. Pour toi, Maroc, que j'aime, à l'infini......

"Encore une journée qui défile hâtivement. Encore une journée ou je suis esseulé, sur les draps délavés des bourres tachées. Aujourd'hui,  je ne m'en soucie plus. Par les arômes lèses d'une existence piètre, je dénombre les désolations avec mes doigts. Des doigts flétris par les détritus de toutes leurs cigarettes. Est ce mon squelette endiguant la poussière de mes haleines sous ma misère? J'enfièvre cette même cigarette, et je compte encore une fois. Je compte mes afflictions que je solde onéreusement, parfois même avec mon sang.  Malgré mes efforts, Mes esprits demeurent tristes, sous les flots  de mon cœur brûlé qui ne valse plus. De ma misère altéré par les dures besognes,  aux calamités suppliciées par mes existences, je suffoque aux feintes de l'injustice. Qui mérite réellement mes amours? Qui parmi vous? Je n'ai plus d'amour à allouer sous les massifs obscures de l'éternité. A ma table, soûle et grisé, je préfère encore escorter mes chopes de Whisky, afin d'y déceler mes réminiscences pour une soirée. Je cherche dans ma mémoire pervertie des moments parmi des hommes, ou j'étais bien heureux.  Au soleil, délogez moi, comme vous toutes, je n'ai plus d'affection à mendier. Que votre grâce brade les réalités de ma putaine de vie dépitée. Qui est véritablement heureux dans cette société névrosée?  J'agrippe le volant de ma berline, que je chauffe promptement avec une substance saugrenue. Ne me scrute pas, toi ma déduction. Ingérés aux drogues russes funestes, je suis ardent d'excitations. Quelle route dois je prendre pour chevaucher mes limites? Peut être celle de ma tombe bleu? Que dieu me pardonne...."

 


J'aurais aimé rester chez moi, vivre selon mes moyens. J'aurais aimé rester auprès de ma femme, et élever mes enfants. J'aurais aimé nager à Cabo Negro avec les méduses, que d’aller me noyer dramatiquement, mon corps flétrie par la mort. Une mort rouge. Une mort absolue, mais malheureusement certaine...

 A la mémoire de Wael, Mohamed, et de tous les voyageurs de la mort ! 











Commentaires

  1. c'est desolant, c'est triste mais vrai
    khaled men alger

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  2. c'est le meilleur article que j'ai lu vous avez du talent

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  3. vraiment trop touchant j'ai les larmes aux yeux

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  4. tres beau article,tres touchant, le blog m'a bcp plu, t as eu mon vote sur le Maroc Web awards,,bonne continuation

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  5. Excellent article. bonne continuation.

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