Les voyageurs de la mort
Il me semble avoir vécu plusieurs vie en une seule. De père en fils, notre misère se prolongeait, nous entrainant malgré nous au delà de nos vaillances, dans ces fatalités de rôles qu'on ne choisit que sous la contrainte d'une vie égarée. Ma mère ne parvenant à gagner de l'argent, qu'en se dévêtant entièrement devant des hommes, comprit que cette nudité interdite, me vexerait. Alors, ayant deviné que son corps, tantôt nu, tantôt allongé sous celui de ses amants d'une heure, nourrissait mes réflexions les plus criminelles; m'envoya vivre chez mon père à Casablanca. " Il me faudra vendre mes reins. Va-en maintenant, va me chercher de l'argent" s'écriait mon père, le cœur tatoué de rancœur, voulant me punir de ce qu'il n'avait pas eu, une bouteille à moitié pleine. Lorsqu'il absorbait un peu trop vite son breuvage, rouge, il gravissait ainsi, par une perte de raison, l'exaltation d'une vie, sans doute meilleure. A la longue, je devins un peu comme lui, soulard, à seize ans. Insouciant, gorgé de mahia, j'éprouvais une telle amertume, que je me redressais péniblement, avec l'idée de me noyer, dans ma liqueur, à tout jamais. Une déchéance furtive, une tristesse délicate, me chipotèrent dès lors, dans un élan de folie, d'une grâce absurde, mais certaine...
Petit, je riais d'aise sans y voir de mal jusqu'aux aurores. j'aimais transcrire mes réflexions sur du papier peint, sous le crépuscule de minuit. J'aimais décortiquer les œuvres de Leonard De Vinci sur les tercets de Lamchaheb. J'aimais épeler les proses poétiques, droites et rythmées, où mes ambitions allaient souffler les étoiles au loin. Très loin. On me disait que je dessinais bien, et qu'avec ça, c'est sûr, je réussirai un jour dans la vie. Les arts plastiques me passionnaient, jusqu'au jour où le dégoût m'en était venu, devant la difficulté de trouver un travail. Désarmé, j'injuriais ma providence d'une voix dense. Et que ma détresse, où la mort planant comme un bosquet de lilas, fera s'épanouir les écumes de buddleias, jusqu'aux sanctuaires de Delphes. Fatigué, las de crever de faim, j'ai fini par quitter le Maroc à bord d'un conteneur de marchandises à destination de la méditerranée. J'étais enfermé dans le compartiment des machines, avec trois voyageurs clandestins, que je n'avais jamais vu auparavant. Un endroit des plus pénibles, où les flammes des enfers suppliciaient nos esprits, hardiment, sous la candeur d'un ciel vif. La vapeur produite par les turbines freinaient notre respiration, bien que les ventilateurs, dont la fonction était de refroidir les chaudières, fonctionnaient parfaitement. Le bruit des moteurs troublait notre rythme cardiaque, et accentuait la cadence de nos anxiétés, d'un air affable. Conserve-t-on la notion du temps lorsqu'on est claustrés dans un hammam, pendant plusieurs jours ? Absolument pas. La faim, la déshydratation, et les obsessions gagnaient du terrain, et empoisonnaient nos esprits, affectés par la souffrance, vers les éternités de Delphes. Ces évènements eurent pour effet que je me suis promis, qu'un jour, je voyagerai légalement dans un bateau mouche. Au soleil, je bronzerai comme un gamin, sous les effluves de jasmin....
Nous quittâmes le bateau une fois à Cagliari, une petite ville italienne dans la région de Sardaigne. D'un pas désespéré, les yeux épuisés, nous marchâmes toute la nuit sans savoir où aller, dans une ivresse noire, où la lune s'en allait au loin, exhaler les paradis, de ses astres égarés. D'après un proverbe touareg " Mieux vaut marcher sans savoir où aller que rester assis à ne rien faire." Partout où nous passions, les gens nous fustigeaient d'un regard craintif, d'un jugement. Rarement, d'un regard affable, d'un sourire. Ils savaient que nous n'étions pas que de simples étrangers, cultivant l'esprit des édifices, se situant dans les quartiers historiques de la ville, croyant peut-être encore aux promesses, d'une vie éternelle. Malgré tout, ils nous offraient du pain à l'ail et au beurre, du café, et des euros pour achever notre route. Au cours de notre chemin, nous furetions toutes les occasions pour gagner de l'argent, rapidement, afin de payer un passeur qui allait nous conduire en France. Peut être qu'au pays de Molière je pourrai acquérir des connaissances des plus avancées, alliant une culture bigarrée, à une conscience poétique. Je pourrai alors vivre de ma plume, et inhaler le souffle de mes poésies à mes heures de gloire. Nous finîmes par arriver, Wael, Said, Karim, et moi à Sassari, un matin de printemps. Une jolie ville située au nord-ouest de l'ile pour y retrouver le passeur Égyptien qui allait nous éclairer jusqu’à la frontière espagnole, avant de pénétrer sur le territoire français. Toutefois, cet homme, exigeait que chacun de nous lui verse la somme de 4000 euros, et que nos chemins se séparent à Gerona. Sans attendre, Il emmena Said, Karim, et quelques ressortissants libyens ou mauritaniens, au loin, guidant le groupe à travers d'immenses étendues boisées vers l'est, puis, promit de revenir nous chercher, dans une quinzaines de jours. Pour survivre, nous lavions des ustensiles de cuisine dans des restaurants, nous transportions de la marchandise sur le dos pour des commerçants, et nous vendions quelques grammes de cannabis local à des étudiants. Il nous arrivait de dormir dans la rue, au bord de la plage, ou dans la forêt avoisinante. Moi, je préférais la plage. Son sable fin nourrissait hardiment l'espoir de mes convoitises. A mesure que le temps passait, l'azur du ciel s'attristait, et mes angoisses s'amplifiaient, encore plus. Un instant, je pensais qu’il serait mieux de monter à bord d'un bateau, et de s’en aller loin. Très loin. Peut être, au Maroc. J'avais appris par un petit trafiquant, que mes amis avaient été arrêté en lien avec une affaire de falsification de papiers à Valence. Il fallait, disait-il partir loin.Très loin. Et ainsi nous arrivâmes en Toscane après plusieurs jours de dérive sur un radeau de survie. Wael ce jeune tangérois, parti s'installer dans une petite ville au sud de la Croatie, décidé à y devenir un grand producteur de musique. Il comprit que je ne le verrais plus. " A la vie, à la mort, libre." furent les derniers mots que nous échangèrent à tout jamais....
Après un long moment de repos chez des amis à Rome, j'avais décidé d'embarquer vers les pays de l'Europe du nord. Les pays scandinaves arrivaient régulièrement en tête de ceux, où il faisait bon de vivre, et s'étaient sortis pratiquement indemnes de la crise économique. La citation de Leonard De Vinci "Tout obstacle renforce la détermination. Celui qui s'est fixé un but n'en change pas" troquait vaillamment dans mes esprits. Rien ne me semblait difficile. Il n'y a que la douleur que je ne ressentais plus. De la nostalgie, mais aussi des chagrins. Le 18 Décembre! Cette date, s'étalera dans mes mémoires abattues, à jamais. Le 18 décembre! Le jour où j'étais presque au Danemark, à plat ventre, flânant délicatement jusqu'aux extrémités de la montagne. Je me suis d'abord installé à la campagne, puis à la ville de Copenhague. Les employeurs danois, sont très conscients de l'importance de préserver de bonnes conditions de travail, et de vie. Ils respectent la loi, estiment les étrangers, et octroient des salaires très honnêtes....
L’ivresse de mes vingt-ans défilait sous mes yeux, comme une mélodie, dont les couplets se perdaient par le battement de mes cœurs, éreintés. Il me fallait dominer mes larmes pour ne pas pleurer. Pleurer l'immensité de mes afflictions. Pleurer mes éclats de rire lorsque j'étais enfant. Pleurer mon âme de poète déchu. Pleurer le douar qui a baigné mon enfance. Pleurer mon avenir d'écrivain, maudit. Pleurer le petit garçon aux cheveux frisés, qui voulait devenir honnête. Pleurer l'odeur du msmen que me préparait ma mère, au petit matin. Pleurer la faim, la pénurie, et toutes ces années de souffrance au travers des abimes. Pleurer Wael, décédé, en mer méditerranée. Pleurer mes amis, emportés au loin, par les océans. Pleurer ma jeunesse damnée à jamais. Pleurer mes ferveurs pour Baudelaire, Rousseau, et Hugo. Je les pleure tous. Un, par un. Puisque personne ne semblait s’en soucier, fatigué, ivre, je puis alors me battre pour la vie, jouir de ce que je suis vraiment, un homme libre…. A la vie, à la mort, libre. Voilà, pourquoi après avoir révéré ma liberté, à jamais illustre, je pouvais mourir.... encore, la tête haute....
"Encore une journée qui défile hâtivement. Encore une journée ou je suis esseulé, sur les draps délavés des bourres tachées. Aujourd'hui, je ne m'en soucie plus. Par les arômes lèses d'une existence piètre, je dénombre les désolations avec mes doigts. Des doigts flétris par les détritus de toutes leurs cigarettes. Est ce mon squelette endiguant la poussière de mes haleines sous ma misère? J'enfièvre cette même cigarette, et je compte encore une fois. Je compte mes afflictions que je solde onéreusement, parfois même avec mon sang. Malgré mes efforts, Mes esprits demeurent tristes, sous les flots de mon cœur brûlé qui ne valse plus. De ma misère altéré par les dures besognes, aux calamités suppliciées par mes existences, je suffoque aux feintes de l'injustice. Qui mérite réellement mes amours? Qui parmi vous? Je n'ai plus d'amour à allouer sous les massifs obscures de l'éternité. A ma table, soûle et grisé, je préfère encore escorter mes chopes de Whisky, afin d'y déceler mes réminiscences pour une soirée. Je cherche dans ma mémoire pervertie des moments parmi des hommes, ou j'étais bien heureux. Au soleil, délogez moi, comme vous toutes, je n'ai plus d'affection à mendier. Que votre grâce brade les réalités de ma putaine dépitée. Qui est véritablement heureux dans cette société névrosée? J'agrippe le volant de ma berline, que je chauffe promptement avec une substance saugrenue. Ne me scrute pas, toi ma déduction. Ingérés aux drogues russes funestes, je suis ardent d'excitations. Quelle route dois je prendre pour chevaucher mes limites? Peut être celle de ma tombe bleu? Que dieu me pardonne...."
À la mémoire de Wael, Mohamed, et de tous les voyageurs de la mort !
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