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Affichage des articles du 2015

Les voyageurs de la mort

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Il me semble avoir vécu plusieurs vie en une seule. De père en fils, notre misère se prolongeait, nous entrainant malgré nous au delà de nos vaillances, dans ces fatalités de rôles qu'on ne choisit que sous la contrainte d'une vie égarée. Ma mère ne parvenant à gagner de l'argent, qu'en se dévêtant entièrement devant des hommes, comprit que cette nudité interdite, me vexerait. Alors, ayant deviné que son corps, tantôt nu, tantôt allongé sous celui de ses amants d'une heure, nourrissait mes réflexions les plus criminelles; m'envoya vivre chez mon père à Casablanca. " Il me faudra vendre mes reins. Va-en maintenant, va me chercher de l'argent" s'écriait mon père, le cœur tatoué de rancœur,  voulant me punir de ce qu'il n'avait pas eu, une bouteille à moitié pleine. Lorsqu'il absorbait un peu trop vite son breuvage, rouge, il gravissait ainsi, par une perte de raison, l'exaltation d'une vie, sans doute meilleure. A la l

Dubaï

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Voilà presque une semaine que je suis rentrée. Mon escapade à Dubaï, qui dans tout autre moment m'aurait complètement enchantée, ne fut pour moi qu'un théâtre ébréché, animé par une mauvaise ivresse. L'ivresse de tous ces arabes, effleurant mes lèvres pâlies d'un air dissolu , et palpant grossièrement ma poitrine ; nourrissait mes acrimonies sous une poussée de rancune rouge. Une amertume acerbe, peu à peu cuisante, étreignait délicatement les valves de mon cœur. Et, dans le frisson qui m'envahissait, je me remémorais les récits du Sheikh H, du temps qu'il n'y avait pas de pétrole et que des fillettes de treize ans transportaient des perles jusqu' à Ras El Khimah, le long des dunes côtières, si bien que, lorsque l'une d'elles s'affaiblissait, ou qu'une tempête de sable s'abattait sur la péninsule arabique, l'économie croulait sous des charges au point que, sans l'aide étrangère, l'émirat se trouvait définitiv

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J’appris que ce matin-là avait eu lieu une détention qui me fit beaucoup de peine, celle de Fatima, veuve et mère de quatre enfants. Sa bêtise, dans un monde qui s'est basé sur des régimes d'inégalités et des injustices sociales, avait été d'arracher quelques produits alimentaires " de première nécessité" aux profiteurs du système consumériste. Quelle admirable injustice ! Quelle noble humiliation ! Quelle miséricorde absolue que d'être, en tant que vieille veuve nécessiteuse, ainsi arrêtée : Pour une boite de fromage Riki à la crème de lait, de la mortadelle de dinde Dindy, et quelques biscuits au chocolat. Or dans ce monde qui est nôtre, il n’y a que les pauvres qui sont châtiés. Fatma outrait hardiment la mélancolie de ses réquisitoires pour y cacher sa réelle inquiétude, transformant ainsi une histoire de vol à l'étalage dans un hypermarché, en une lutte poétique contre la misère. À petits traits, avec son élocution rude de femme abattue, elle m

L'Atlas des inconnus

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Peu à peu, la nuit se vêtait, infinie, enveloppant le village d'Aghdou de sa quiétude, profonde. Les pieds gelés, je marchais dans l'obscurité, d'un pas désespéré, au cœur d'un atlas blanc, emporté par un élan de rancune noire. Rouge, également. Par des brumes froides, les cimes enneigées, croulaient sous les pas effarés, dans la pâleur d'un ciel âpre, pouffant du mépris sardonique dont il entourait les âmes, et les bêtes, du douar d'Anfgou. Les chemins devenaient étroits. Étroits, et périlleux. J'avais encore sept kilomètres à parcourir, l'estomac creux, les mains vides, sans pouvoir bafouiller d'autres paroles d'excuses à mes enfants, anémiés. On ne distinguait plus cette crainte obsédante de tomber du sommet du mont, en marche, qui se glissait adroitement, on la sentait si douce, devant la pénurie d'argent. Le froid, qui soufflait si fort, affûtait en une masse brune, exaltant les esprits les plus robustes, vers une mort assurée,