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J’appris que ce matin-là avait eu
lieu une détention qui me fit beaucoup de peine, celle de Fatima, veuve et mère
de quatre enfants. Sa bêtise, dans un monde qui s'est basé sur des régimes
d'inégalités et des injustices sociales, avait été d'arracher quelques produits
alimentaires " de première nécessité" aux profiteurs du système
consumériste. Quelle admirable injustice ! Quelle noble humiliation ! Quelle
miséricorde absolue que d'être, en tant que vieille veuve nécessiteuse, ainsi arrêtée
: Pour une boite de fromage Riki à la crème de lait, de la
mortadelle de dinde Dindy, et quelques biscuits au chocolat. Or dans ce monde qui
est nôtre, il n’y a que les pauvres qui sont châtiés. Fatma outrait hardiment
la mélancolie de ses réquisitoires pour y cacher sa réelle inquiétude,
transformant ainsi une histoire de vol à l'étalage dans un hypermarché, en une
lutte poétique contre la misère. À petits traits, avec son élocution rude de femme
abattue, elle me racontait d'une bonne voix absolue, l'immensité de sa détresse...
"Elle y est injuste cette société
ma fille, qui a le pouvoir d'emprisonner les nécessiteux, qui ne sont plus que criminels
et voyous. J'ai perdu mon mari Abderahman, dans un accident de travail il y a
sept ans. Tout aurait été plus facile si j'avais été plus jeune. J'ai n'ai
aucun revenu. Ma famille ne m'aide pas. Je souffre d'insomnies au point d'être
foudroyée par une névralgie des plus brusques, à chacun de mes réveils. La
pauvreté n'est pas vice benti, mais j'ai quatre bouches à nourrir. Il y a des
jours où je suis dans la plus mortelle confusion, n'ayant pas dix dirhams qui puissent
m'alimenter, mes enfants et moi. Plus jeune, je
refusais nettement de vendre mon corps. Jamais. Je voulais rester fidèle au serment que
j'avais fait d'honorer la mémoire de mon défunt mari, sans jamais souiller sa
pensée. On n’arrivait pas à s'en sortir, mais
on faisait des réflexions sur les raisons qui empêchaient de l’être, et qui
nous fussent demeurés paralysés dans ces violentes traversées de l'indigence,
tout en gardant des valeurs solides. Aveugles
mécanismes d'un atavisme social que d’embrasser le banditisme où la mendicité,
comme uniques moyens de survie.
Un soir, par la bêtise
d'une femme écrouée, je me rendis chez l'ancien patron de Abderrahmane Allah
yrhmou, le compressant de questions, souhaitant ainsi connaitre les moindres détails
de son accident. Mais la tragédie restait obscure. Il ne put que reprendre ce
que je savais déjà par la police. Son grand argument contre la mort de mon mari
était que, logiquement, la mort n'est que le repos du pauvre.
A cela, il répondit par des explications incohérentes, et ce n'était que mon
mari, saisit par l'alcool, qu'on accusait d'avoir heurté un arbre, causant ainsi
sa mort et celle d'un chauffard. Et pourtant, ce n'était pas lui. Ce ne pouvait
pas être lui. Celui-ci ne pouvait pas être un alcoolique, encore moins un assassin.
Que de questions obscures, que de problématiques insensées ? Comment n'avait-on jamais
rien vu, aucune bouteille d'alcool, aucune odeur spiritueuse ? Comment de si
effroyables aventures s'étaient-elles passées sans aucune preuve inculpant
directement mon mari? Surtout, comment Abderrahmane, un homme de foi avait-il
pu devenir un ivrogne au tempérament éthylique? Comment un chauffeur de trente
ans d'expériences avait-il pu heurter un arbre en plein jour? Ce soir là, son
patron tonnait contre toutes mes conspirations en haussant les épaules de
colère et de crainte, au point de m'employer comme femme de ménage pour m’interrompre. Je ne
voulais pas accepter, mais continuer une vie de zelta, vivre en torchon avec mes
enfants, obligés de se mettre au travail à un si jeune âge, non !
Seulement à partir de ce
jour, il avait pris l'habitude de m'humilier sans raison. Honteuse de sentir les
larmes me vaincre, je ne trouvais pas la force d'en parler, tellement une seule
angoisse me taraudait le cœur; nourrir mes pauvres gamins. Et le mal était
parti de là, la fureur m'avait brûlée, à contempler la danse de mes valeurs
tachées, et à vivre dans cet air empoisonné d'indignités. Encore un instant,
je regardais le visage de bonté que je gardais toujours, avec mon sourire douloureux
d'égarée, toute émue d'attachement pour celui qui fut mon mari. Mon employeur
quand à lui, semblait mener sa vie coutumière, le matin les difficultés
de la direction dans une grosse boite, l'après midi les spas asiatiques à la mauvaise réputation,
et le soir les femmes, les plaisirs, et les soupers. Comme
convives, tous ces hauts responsables pourris, qu'il corrompait intelligemment
par des coupes de champagnes hors de prix, des boites claustrées ornées de pierres, et de grandes enveloppes
scellées. Les invités, ainsi cachés sur l'envers de ce somptueux décor, humaient
l'énergie du dirhams, et dégageaient la
puissance de l'amertume. Martyrisé par un remord de complicité qui l'obsédait,
et avec la volonté d'agir, le jardinier m'apprit avec beaucoup de tristesse que
celui qui avait causé l'accident n'était que Slimane, le fils du
patron. Ce dernier avait l'habitude de prendre la place de Abderrahmane
au volant sous les encouragements de ses amis. Je maudissais Slimane, son père, ses copains, et ses semblables. Ma colère et mon exaspération, contenues depuis très longtemps, se transformaient peu à peu en une haine barbare et sanguinaire. Une haine meurtrie que je ne contrôlais plus. Et la chose incontestable, cohérente du reste, était que ces
gens là, se liquéfiaient d'âme et d'esprit, n’étant plus qu'un liquide maléfique dépouillés de toute parcelle d’humanité. Comment pouvaient-ils être humains? Ce à quoi mon mari avait toujours aspiré, à savoir que
les autres le respectent, lui devenait impossible là où il était.
Il ne servait plus à rien de crier son innocence, personne ne voulait
me croire....Personne....
Abderahmane, ce pauvre travailleur au cœur innocent, si bon et si droit, profané maintenant de la tare insoutenable du meurtre. Que son âme doucereuse repose en paix. Toutes ces irrégularités
me choquaient et m'attristaient hardiment. J'expirais de la rancune rouge. Une
rancune qui saisissait mes réprimandes profondément contre toute une race de voleurs assoiffés,
en marche depuis des années à travers les misérables, dont ils aspirent
le sang, et souillent la réputation, comme des parasites intestinaux, allant
quand même, sous les humiliations et les percussions, à la conquête avérée
d'un monde qu'ils possèderont un jour par la force impérieuse d'un argent crasseux. Tout ce que je peux te dire ma fille c'est وقتاش يفرجها ربي.....
C'était sans
doute la mort de Abderrahmane, ce poète perdu, transcrivant ses derniers
souffles d'amour pour Fatma, qui l'émouvait vaillamment. Par quels chemins biscornus,
vers quelle traversée aride, sur quel sommet inconnu, dans quelles cavités
inexplorées fourmillantes de tapis magiques cette société nous conduira-elle? À la névrose générale?
À l'obscurantisme suprême? Vers une déconstruction sociale? Aux tercets populaires de Psy à 1 milliard et 500 millions centimes/15 minutes? Et qu'est ce que réellement l'injustice? Voilà une question qui m'intrigue. Ah ! Ces injustices pour ce bas monde, avec ses souffrances faites de crapuleries, et de corruptions, lorsqu'une veille veuve est arrêtée pour avoir détourné 70 dirhams de produits alimentaires afin de nourrir ses enfants, alors que beaucoup arpentent les ruelles en toute impunité pour avoir détourné des millions de dirhams. Pourquoi encore l'impunité absolue dont jouissent ces truands frauduleux avec leur progéniture criminelle et débauchée?
À l'obscurantisme suprême? Vers une déconstruction sociale? Aux tercets populaires de Psy à 1 milliard et 500 millions centimes/15 minutes? Et qu'est ce que réellement l'injustice? Voilà une question qui m'intrigue. Ah ! Ces injustices pour ce bas monde, avec ses souffrances faites de crapuleries, et de corruptions, lorsqu'une veille veuve est arrêtée pour avoir détourné 70 dirhams de produits alimentaires afin de nourrir ses enfants, alors que beaucoup arpentent les ruelles en toute impunité pour avoir détourné des millions de dirhams. Pourquoi encore l'impunité absolue dont jouissent ces truands frauduleux avec leur progéniture criminelle et débauchée?
Pour une fois....Il n'y a rien à dire....
Aux oubliés
Aux oubliés
Le monde est plein de mal
RépondreSupprimerc'est une chronique, pour se remettre en question sur certains de nos pratiques, aussi projet la lumière sur une vérité désolante.
RépondreSupprimeroui c'est triste je suis déçu pour ce monde
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé la présentation de l'histoire de Fatma. Cela fait mal au cœur de concevoir les paradoxes dont nous vivons: appel aux droits humains Vs la vérité amère de notre quotidien ! Fatma n'est qu'un seul exemple, d'ailleurs fouillez-bien et vous verrez "l3jeb".
Cordialement