Dubaï
Voilà presque une semaine que je suis rentrée. Mon escapade
à Dubaï, qui dans tout autre moment m'aurait complètement
enchantée, ne fut pour moi qu'un théâtre ébréché, animé par une mauvaise
ivresse. L'ivresse de tous ces arabes, effleurant mes lèvres pâlies d'un air
dissolu , et palpant grossièrement ma poitrine ; nourrissait mes acrimonies
sous une poussée de rancune rouge. Une amertume acerbe, peu à
peu cuisante, étreignait délicatement les valves de mon cœur. Et, dans le
frisson qui m'envahissait, je me remémorais les récits du Sheikh H, du temps
qu'il n'y avait pas de pétrole et que des fillettes de treize ans
transportaient des perles jusqu' à Ras El Khimah, le long
des dunes côtières, si bien que, lorsque l'une d'elles s'affaiblissait, ou qu'une
tempête de sable s'abattait sur la péninsule arabique, l'économie croulait sous
des charges au point que, sans l'aide étrangère, l'émirat se trouvait définitivement
terrassé par le chômage. Comment ces bédouins, s'étaient-ils enrichis d'un coup
de vent, s'emparant peu à peu du monde ? De par leurs
bâtiments à l'architecture démesurée humant le pouvoir, leurs
somptueux manoirs aux allures de petits châteaux anglais , leur flot de Ferrari
où grouillait le mépris ; ces nomades d'orient me dégoûtaient de sang, et de colère.
Il en était simplement à
dire que celles qui voulaient faire fortune, devaient s'y laisser prendre, dans
toute les fatalités d'une vie perdue. Dubaï, petit émirat, était sans doute le
congrès habituel, le recoin éloigné aux fins fonds du désert atlantique, où les
prostituées du monde entier venaient s'y enrichir, quand elles n'avaient pas
d'autres choix...
Presque tous les soirs, Layali, Ahlam, Irina et moi, patientions
discrètement dans un petit bar, non loin de Sharjah, sous le regard averti de
quelques proies. Ces jeunes filles flairaient là-bas, quand leurs instincts s'embrouillaient
de faiblesse, la cité idéale de leur rêve. Et, dans cette obstination, il y
avait là une concurrence barbare, depuis que les filles de l'est chômaient,
faute d'amateurs, bien qu'elles eussent baissé leurs tarifs de moitié, vu leurs
honoraires, et la rigueur des temps. Les '"oldies", ces femmes d'un
certain âge, au loin, sur les portes, s'effarouchaient d'anxiété de se voir
voler leurs clientèles habituelles. Elles s'en fâchaient même, mais ne s'en
allaient pas, enjolivées au fond par les infections de botox, qui les faisaient
espérer, la peur au ventre. L'odeur des pétrodollars exaltait les esprits. L'odeur des pétrodollars enivrait les cœurs. Jamais
l'horizon obstrue n'avait ouvert un au delà plus vaste à
ces reluises scintillante de la pénurie humaine. Une symphonie de grâces émanait
de cette foule fortunée, des bédouins gâtés par un éventail de choix, des filles
enfin gratifiées, brusquement enrichies, couronnées par une retraite méritée. Une
exposition dans un Dubaï sans fin, soûlé de jouissance et de puissance. La nuit
y était unique, une nuit de foi à la béatitude pour les nomades
ambulants, la certitude d'une chance sans fin pour les filles sans lendemain....
Il y eu des moments où, malgré mes airs d' hypocrisies, je me
trouvais d'une douceur extrême à admettre qu'il fallait
bientôt arrêter. Une mélancolie noire se dégageait de mon affliction de rouge
tristesse. Délogeant mon orgueil d'un affreux supplice, il me semblait que
j'avais presque vécu plusieurs vies, en une seule vie, depuis mon arrivée dans
ce pays. Au milieu de ce luxe éblouissant, il y avait là des drogues funestes,
des hommes riches et puissants, et des filles de joies qui poussaient d'un air anxieux
comme des champignons de Paris. Je tombais le plus souvent sur des hommes réservés,
quoique difficiles à comprendre, qui se moquaient bien de
mes origines marocaines, et qui se bourraient de plaisir, dans tous mes recoins,
où chaque faux pas me coutait si cher. Dans ce travail de chaire, les tripes
écorchées, devenaient un péril aux yeux de la loi, menaçant de me confisquer le
passeport, et de m'envoyer en prison à vie, à
la pointe des coup de fouets, effilés comme des épées. Par un dernier regard aux
ténèbres, je retrouvais la même immensité bleue que le matin, lorsque j'avais débarqué
de Casablanca par le grand souffle de mes dix huit ans. De là, ce scintillement
d'or noir, ce reflet d'or noir, du matin au soir, d'une année à
l'autre, au milieu de ces soirées orientales, où l'or venait en bidons négociés,
d'où il partait en lingots, pour revenir en billets d'argent et repartir en diamants,
éternellement, dans l'unique but de distraire les convives. Dans une muette
consternation, je compris que finalement, mes amies et moi, n'étions qu'une
marchandise qu'on allait bientôt échanger pour une autre âme de joie, vivante et
plus fraiche. Mon corps nu, accablé par la pénétration tranchante des verges,
n'avait plus de sensibilité au service des affections, même si en une heure, le
million que je réclamais, était doublé...
Il me répugnait de me regarder dans un miroir. C'était
injuste, parfois très dur. Mon insolence de femme se révoltait, à
l'idée de n'être qu'une bestiole qu'on achète et qu'on écrase au prix fort. J'éprouvais
une étrange sensation de dégoût contre le luxe. Le luxe de mon dressing spacieux. Le
luxe de ma voiture cabriolet. Le luxe de mon appartement vue sur mer. Le luxe de mes vêtements griffés.
Le luxe de cette ville artificielle en plein désert. Le luxe d'un argent noir, rouge, et bleuté. Le luxe d'un corps dévêtu,
au milieu de ces palais majestueux, jusqu'aux aurores passés, sous l'obscurité
du déclin, à plat ventre dans des majlis, couvert par un
léger voile de lumière. Le luxe énorme de ces maisons vides, dénuées de toute âme. À quoi bon ces pièces
richement ornées à l'ambiance impérialiste, jouxtant ces
trois ailes monumentales donnant sur des jardins ? À quoi bon ces somptueux
salons à l'atmosphère onirique, où mobilier néoclassique
cohabite avec de l'artisanat marocain sous des faux ciels arabesques ? À quoi bon
ces lustres en verre de Murano éclairant légèrement des sculptures grecques
antiques ? À quoi bon ces tableaux d'artistes signés, ces moulures marbrés, ces
tapis persans, et ces mosaïques colorées? À quoi bon ces salles de bains aussi grandes
qu'un pâturage, le parquet des cuisines, le cristal des lavabos, les ascenseurs
vitrés, les escaliers en marbre, spacieux à desservir un palais indien? À quoi
bon toute cette charité grandiose, si l'on ne pouvait, dans ce milieu débauché
et corrompu, redresser une créature abandonnée par ses parents, faire de cette
petite fille mal aimée, une femme bien respectable, ayant la droite raison du
respect d'elle même?
Toutes les valeurs qu'on ne m'avait jamais inculquée, se
hissaient impudemment dans mes consciences, tandis que dessous, sonnait un vide
absolu, le réel accablement d'un esprit qui avait beaucoup profité, dépensé des
millions en chaussures, déboursé des milliards en voitures, dissipé des
grandeurs en friandises. Dans ce vertige éternel, de tout part, c'était le
regret imparfait. La faute, en était finalement à cette
maudite vie, tachée de frissonnement. Avec cela, je gardais des lésions dans
mon élégance, par la vague impression d'une impureté, déclarée au jour de ma
naissance. Si j'avais eu un père, si j'avais eu une mère, si j'avais eu une
famille, si j'avais eu un mari, si j'avais eu des enfants, si j'avais eu une éducation,
si j'avais eu un diplôme, si, si et un million de si..... j'aurais été une femme différente. Les voix de mes démons
d'antan dominaient d'un geste désespéré, mes entités à
jamais. Mon reflet dans la neige, au dehors, restait si terni, qu'il obscurcissait
mon âme, malgré la lueur du jour. Au milieu de mes supplices, je ne gardais
qu'un espoir, celui de retrouver un jour mes parents, afin d'embrasser le
pardon d'un grand pas. À ce besoin de m’affranchir, j'espère
qu'ils pourront me pardonner d'un battement de cœur vantard....
On pardonne tant que l'on aime sincèrement ! FLR
je suis scotchée devant votre talent
RépondreSupprimerMagnifique billet, bravo !
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