L'Atlas des inconnus
Peu à peu, la nuit se vêtait, infinie, enveloppant
le village d'Aghdou de sa quiétude, profonde. Les pieds gelés, je marchais dans
l'obscurité, d'un pas désespéré, au cœur d'un atlas blanc, emporté par un élan
de rancune noire. Rouge, également. Par des brumes froides, les cimes enneigées,
croulaient sous les pas effarés, dans la pâleur d'un ciel âpre, pouffant du mépris
sardonique dont il entourait les âmes, et les bêtes, du douar d'Anfgou. Les
chemins devenaient étroits. Étroits, et périlleux. J'avais encore sept kilomètres
à parcourir, l'estomac creux, les mains vides, sans pouvoir bafouiller d'autres
paroles d'excuses à mes enfants, anémiés. On ne distinguait plus cette crainte obsédante
de tomber du sommet du mont, en marche, qui se glissait adroitement, on la
sentait si douce, devant la pénurie d'argent. Le froid, qui soufflait si fort,
affûtait en une masse brune, exaltant les esprits les plus robustes, vers une
mort assurée, emportée d'une seule âme. Une mort silencieuse. Parfois creuse. Le
long des façades inanimées du douar, toutes les fenêtres humaient la famine,
depuis des décennies. A quoi bon frapper ? Ne valait-il pas mieux mourir de froid, sous une flaque d'eau, que de mourir
de famine ? Quelle effroyable chose, que d'avoir le choix !
Le village d'Aghdou ! C'est là un des
horizons les plus magnifiques qui soient au monde. Derrière nous, un massif
montagneux, aux cachets typiquement
amazigh, en face, des forêts de genévriers rouges, une
des curiosités de cette plaine rase, où l'on dénombre de grands arbres formant
la limite supérieure des végétaux sur le Haut Atlas, et au loin, le lac Aguelmam azegza, une réserve naturelle couverte
d'une forêt de cèdres, et de chênes. Puis, en plein champs, les terres nomades
du Yagour, immenses, s'étalant, pareilles au canyon du verdon, jusqu’à la vallée
des roses, au loin. Comme on était loin de
l'effluve de jasmins voltigeant entre les arbrisseaux, semant de larges goûtes
de lumières, au milieu des flaques de neiges roussis. Sous l'azur affable de la
vallée, dès les premiers jours d'hiver, beaucoup de familles s'étaient enfermées
côte à côte, pour partager quelques miettes de pains trempés dans de l'eau tiède, et de la bouillie pour le soir. Les enfants, n'allaient pas à l'école,
bien trop loin, et servaient à porter de l'eau, dans des sceaux, formant un petit
groupe de dix, causant à voix basse, de leur enfance perdue, à jamais. Et bien, que pouvait-on y faire, paraît que nous sommes
inconnus de tous, dans le grand silence ? Peut être morts aussi. Oui, morts. N'osant plus lutter, écoutant de loin, ce que l'on
pensait de nous, au ras du sol, sans pain, sans électricité, sans eau, sans
soins, et sans couvertures...
On souffrait moins dans le désert du Kalahari, que dans ce village perdu, où l'on pâtissait pour puiser de l'eau potable. Des larmes jaillissaient
à chaque fois qu'un nourrisson mourrait, de froid, et la mère
se lamentait de ne pas avoir su s'en occuper correctement. Et, au dessus de cette mort successive d'enfants, escamotés dans des couvertures en laine, il y avait aussi un manque de soins flagrant, soufflant leurs petites âmes, au loin, pour une vie meilleure, sans doute. Chez
nous, tout manquait. Sauf l'honneur, d'un peuple brave. Après avoir en sa vie, combattu
vaillamment pour son pays, lors de la bataille de Tazizaout dans l’arrière-pays
de Tounfit en 1932, Moha, mon grand père, cédait au froid, crevant comme une bête
infâme, dans un coin. Il gardait sa voix lassante comme pour nous raconter des
histoires, et pensait la fin de sa vie mémorable. " Kker a mmi-s n umaziɣ. Mon seul tort a été de naitre là-bas,
peut être. Je me suis donné un mal terrible, et me voila étendu comme un chien, paralysé, sans pouvoir nourrir mes enfants, et mes petits enfants. Mais
je suis fier. Fier d'être né amazigh. Sumeslay-nneɣ ad nili. Tellement fier. Les hommes
libres ne meurent jamais. En face,
des jours terribles qui commençaient. Les yeux troublés de faiblesse, pas une plainte
ne se faisait entendre, des hommes. Tous cédaient au silence, avec la fierté d'un homme
libre et affranchi. Né libre. Fils d'un homme libre.Ne valait-il pas mourir la tête haute finalement ? A
cette vision de mes camarades et moi, dans la bataille de Tazizaout. A la ville
d'Azilal, où je suis né. Aux souvenirs confus de mes amis, morts d'une pneumonie en 1983. Aux enterrés vivants d'Anfgou de 2007,
aux enfants décédés....par le froid...
Au peuple amazigh, marginalisé, opprimé, qui a tant souffert, et qui souffre toujours....
Aux hommes libres....
A ma ville d'origine, Azilal...
A mon ange, éternellement....
« L''homme libre est celui qui n'a pas peur d'aller jusqu''au bout de sa pensée. »
Yamna, fille de Moha, amazigh et fière
Photo http://rumoridalmediterraneo.blogspot.com/
Waw article percutent yamna, j'ai les larmes aux yeux. Tu es la meilleure blogueuse que je connais keep it up et ne t’arrête jamais, on est tous derrière toi...
RépondreSupprimerMagnifique . Amazigh de Kabylie :D
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup, merci yemna
RépondreSupprimertanmir bahra otmankh
RépondreSupprimerL'homme libre est celui qui s'est libéré de lui même car on peut aller au bout de ses pensées en restant prisonnier de ses passions ! Merci pour ton texte , Yamna , fille de Moha , l'Amazigh.
RépondreSupprimerمقال رائع في المستوى تبارك الله عليك للا يامنة
RépondreSupprimerwww.cantor0437.blogspot.com
RépondreSupprimerWow c'est un très beau texte qui reflète la souffrance du peuple amazigh, qui, malgré tout, combat toujours pour sa liberté et son honneur!
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