Mi Blanca




Je suis allongé sur une étendue de sable, aux particules fines, entrecoupée par de puissantes rivières glaciaires. Le chant des oiseaux, éclairé de petites silhouettes, s'élevant au dessus des brouillards, s'évaporait délicatement, à jamais, et jusqu'aux extrémités des infinis. Un moment, je dus éprouver le désir violent, de me noyer brutalement, dans ce petit cours d'eau, fortement pollué, parmi les truites noires qu'il exhibait si fièrement, et où trainait un parfum irritant de poisson-chat cru.  A mesure que les minutes défilaient, mes souvenirs de petit garçon, s'empoisonnaient davantage, se heurtant ainsi, aux ténèbres de mes amertumes . Une déchéance furtive, une tristesse délicate, me chipotèrent dès lors, dans un élan de folie, d'une grâce absurde, mais certaine.

Jeune. Je ne comprenais rien à ma vie. Solitaire. Je ne comprenais rien à la vie. Obstiné dans le silence de mes pensées, grisé de révolte, j'avais fini par empoigner la philosophie psychédélique d'un air désespéré, pénétrant ainsi dans ce monde merveilleux de l'espérance, l'illusion ranimée, où tout devenait enfin possible. Il était si doux de mépriser la réalité. Il était si doux de braver les interdits, et le hchouma. Peut-être était-ce plutôt un soupir de rébellion, que rien ne pouvait plus arrêter, dans un  milieu de dépendances, de sodomies, et de haschisch, empli de racailles, l'air dangereux, refusant de croire qu'un cocaïnomane ne gagnait pas des millions de dirhams, à chaque fin de mois.  Mon travail d'urgentiste, aux allures d'homme instruit, soulevait en moi un passé, si virulent, si âpre, que mes mémoires, telles des lésions cérébrales, jaillissaient de mes entrailles rouges, pendant des journées. Parfois, pendant des mois. Égaré dans un chemin étroit, au travers de mes démences, où je n'entendais rien, où je ne voyais personne, ma dépendance au poison, s'amplifiait délicatement, ne tolérant plus un atome de plus, sans tomber dans un état comateux.  Deux grammes. Trois grammes. Quatre grammes. C'était la mort bientôt. Une mort assurée. Déjà trois fois, j'avais frôlé l'overdose, mais, à chaque fois, mon frère avait apparût comme par miracle, pour me délivrer des flammes de l'enfer. Oui, j'irai en enfer. Et dans cette détresse, il y avait le souvenir de mon enfance, élevé aux bonnes dispositions de la bourgeoisie, la misère congénitale, faisant de chaque minute, un enfer, se nourrissant de mon sang.

La vie n'était pas drôle. Effaré de tomber dans cette sphère, où ne luisait qu'un parfum chanel aux psychotropes, à plus de 700 dirhams le gramme, je travaillais en vrai barbare, veillant à me détacher de tout. Quand arrivait le soir, je somnolais de fatigue, couché sur le divan, vêtu d'un peignoir bleu, sniffant dans l'air mélancolique du crépuscule, et s'essayant à de nouveaux mélanges, caféine, sucre, javel, d'une voracité discrète, où je préférais croire que les choses iraient très bien, peut-être, le lendemain. C'était le péril absolu, où je cessais de sentir l'air qui s'échappait de mes poumons, et flanchait délicatement ma respiration, agonisant ainsi dans l'air d'asphyxie, au ras du sol. Dans les derniers temps surtout, mes addictions m'attiraient fréquemment des scènes désagréables avec mon entourage, d’autant plus que j'avais été amoché à deux reprises par mon dealer, la jambe à moitié démontée, le crâné fracassé, sous le prétexte de n'avoir pas pu rembourser mes dettes. Dans ce  besoin de revanche contre la société, dont la folie déséquilibrait toutes les âmes perdues, les poisons continuaient de couler à flot, embrassant d'un rouge vive, la mort des uns, et la déchéance des autres.

Hurlant comme un chien, Je découpe ma blanche, sous l'excitation de mes psychoses. C'est trop long, maintenant. Trop loin pour aller chercher ma paille. Un coup. Un petit coup. Un seul coup encore, et un coup pour toujours, et jusqu' à demain. C'est de la folie. Sous les éternités, qui ricanent à la lumière, mon âme criminelle me parait si cruelle, qu'elle mérite de crépiter dans la braise des abysses. Tourmenté d'un grand besoin de vide, je sens le pou s'éteindre, me pressant à une mort certaine, comme si j'avais inhalé l'effluve d'une ombre froide, glaciale. Il est temps de rejoindre ma fille, décédée lors d'un accident, lui mordiller le cou, pour lui souffler mes lamentations de ces huit années de fond. Et tous deux, on rira d'aise, à ne plus oublier le monde, loin du jour, loin de la nuit, loin des chuchotements, loin des tortionnaires, loin des accusations, loin des regards, et loin de la souffrance, jusqu' à la folie. Est-il possible de s'être rendu si malheureux à vouloir dormir pour ne plus se réveiller ? Je songe peut-être que la  mort ne vaut pas grand chose.


On ne vit que d'illusions...


« Les apparences plus que les réalités gouvernent le monde ; il est donc aussi important de connaître les choses en apparence que de les connaître réellement. » Daniel Webster

A mon ange, éternellement !

 

Commentaires

  1. Si brural et si touchant et sublimement ecrit . Bravo !

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  2. Je suis un ex toxico, merci pour votre article chère amie yamna.
    merci je suis émue comme jamais
    abdelkader de nador

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  3. Vous avez un don.celui de raconter ou de d'exprimer un vécu d'une façon touchante.
    j'ai lu tous vos écrits et je vous encourage fortement à penser à écrire un livre.
    vous avez le talent .svp ne le gaspillez pas.

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  4. Je ressens en toi un Baudelaire. Un jeune, en permanente quête vers une maturité, ou peut être une volupté exquise, décrite dans des manuscrits rarement consultés de nos temps.
    Que ta plume soit un remède pour tout tourment ; d'autrui, comme ceux présents dans les abysses de ton esprit, Yasmine.

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