Casablanca







Peut-on se noyer dans la mer des pensées, pour recouvrir ses mémoires ?

Je n'ai pas infusé dans de l'eau de Cologne Hermès, je n'ai pas sillonné les abords gelés des palaces de Courchevel, et je n'ai pas apaisé mes chagrins avec des bains japonais chez Spa Cinq Mondes. Mon père était professeur de philosophie dans un lycée public, et ma mère confectionnait des caftans à ses heures perdues. Des personnages combattifs, au revenu assez modeste. Ils nous mitonnaient du couscous le vendredi, nous confectionnaient des tuniques pour le Aid, nous emplissaient de théologie scolastique, et nous cultivaient d'affections les weekends. Une enfance assez plaisante auprès de mes sœurs, dénuée  de toute désolation psychologique.  Aux yeux de mes parents, je ne manquais de rien, mais à mes yeux, je manquais de tout. A chaque souffle inhalé par mes vésanies, je désirais plus. J'exigeais plus. J'ordonnais plus. Pendant que ces sentiments étreignaient mes imaginations, les privations générées  par une défaillance budgétaire se vivifiaient hardiment dans mes esprits. 


Quelques jours par semaine, je devais accompagner  ma mère chez des clientes fortunées. J'étais languissante d'envie  envers ces femmes, accoutrées de velours satinés, ornées de parures dorées, et enjolivées par des soins à la poudre de Tanaka. La présence de leurs filles troublait mes émois, et nourrissait mes convoitises. Zeina, Shemsy, Radia, Yasmina et toutes les autres, habitaient des demeures fastueuses et ensoleillées, jouissaient en toute humilité des délectations de la vie, et  alléchaient tous les prétendants aisés et arrivistes de la région. Les domestiques cavalaient  à leurs pieds, et la fortune se tordait  à leur bonne étoile. Je conversais le moins possible, afin d'endiguer mes appétences envers ces  demoiselles très avantagées. Il m'arrivait de disséquer avec étonnement leurs habitudes haussées, et de parodier leurs manières sarclées pour être comme elles. A cet instant, j'ai su que ma vie ne serait plus la même. De ce moment ma vie ne sera comblée qu'en étreignant les artères de ce monde. Un monde féerique, et magique. Je devrais être Zeina, je devrais être Shemsy, je devrais être Radia, Yasmina, et toutes les autres...



Un jour j'ai décroché mon baccalauréat scientifique. Comme seul un diplôme me permettrait de chevaucher les péripéties d'une vie échevelée, et d'empoigner mes rêvasseries escarpées; j'ai effaré les philosophies écorchées de mes parents, en les menaçant de m'empoisonner au zinc s'ils ne m'envoyaient pas à l'étranger. Sans doute, on pouvait m'étriper rudement, mais pas refréner mes inclinaisons. J'avais 18 ans ! Je voulais conquérir les fractions du monde, brasser les déséquilibres de mon existence, et suffoquer les partialités sociales mais à San Francisco. Comme mes parents ne disposaient d'aucun héritage monétaire, ils contractèrent un crédit afin de  financer les frais de scolarité de ma première année d'études.  

Le rêve américain qui incarnait jadis les espérances, et peignait les appétences, n'était qu' un mythe censé aguicher les inhalations. J'ai enduré toutes les consternes du monde en une seule vie. Attristée, je tentais de me libérer de ce précipice empoisonné, en essayant de me délivrer d'une sphère diabolique, qui me permettait à peine de survivre. J'étais arbitrée par des boulots  maculés, des nuits blanches malaisées, et des études de droit enchevêtrées. Moins je gagnais d'argent, plus je sombrais dans une asthénie mélancolique hardie. Rapidement, j'ai appris à me débaucher avec des inconnus cyniques, pour pouvoir manger. Je trahissais mes préceptes, mais je n'avais aucunement le choix. Je cédais mon anatomie pervertie à chaque corrélation physique, mais finalement je cédais mon âme acerbe à chaque dépendance morale. Mon corps respirait le désespoir, et mon émanation inhalait du dégoût. Un dégoût absolu pour ces hommes. Un dégoût infini pour tous les hommes. Un dégoût certain pour mon être.

Je suis rentrée à Casablanca un mardi pluvieux. Une journée ne s'était écoulée, qu'a mon grand effarement, je perçus  un monde complètement transformé. Les rides estampillèrent les traits plaisants de mon père, les grisailles estampèrent la chevelure vermeille de ma mère, et les accouchements  transigèrent le présent chargé de mes sœurs. Casablanca que j'aimais, Casablanca que j'aime. Casablanca telle que je la connaissait avait bien changé. L'enchantement  de rentrer était  tel, que j'avais estompé de mes mémoires toutes ces pénitences dévastatrices. Je me suis installée dans un petit appartement au quartier Racine, et j'ai décroché un boulot dans un cabinet d'affaire réputé. Il était hors de question que j'habite chez mes parents. La petite fille disciplinée qu'ils avaient éduquée s'était disséminé. J'étais à présent une femme affranchie par ses tempérament, épicurienne par ses inhalations, et libre par ses pensées.


De ce moment, je n'eus plus qu'une envie, gravir les échelons d'une société, qui  jadis avait méprisé mes genèses, dédaigné mes ascendances, et bravé mes principes. Sans doute, on peut houspiller à la vie ses tourments, et ses démons, mais pas ses injustices. Sous les cieux brunis de Casablanca, J'ai commencé à côtoyer cet univers pailleté. Je séquestrais toutes les vigueurs pour mesurer ses étendues, et stérer ses équités à travers Rita, ma collègue de travail. Mon étonnement  face à ce monde, m'empêchait de me réjouir, et m'empêchait de dérider. Moi, fille de Said, instituteur modeste, fréquentais à présent des bars branchés, séjournais dans des palaces somptueux, et côtoyais des fortunés lors de soirées privées très select. Ce monde se débouchait à mes genoux. Ce monde convoitait mes inhalations. Ce monde me désirait. Ce monde m'acceptait finalement. J'appréciais toutes ces anorexiques mal caressées, bien entretenues aux aires hautains. J'estimais ces banquiers, qui trompaient leurs compagnes avec les femmes de leurs amis. Je chérissais ces jeunes héritiers mal éduqués, qui s'envenimaient à la cocaïne pour souiller leurs émois intérieurs. J'affectionnais toutes ces fausses blondes, au sac Chanel, qui prenaient Antigone pour un créateur de chaussures. Je raffolais des bouteilles de champagnes cuivrées, et trafiquées. J'idolâtrais les petits canapés au chèvre et au saumon bon marché. Je glorifiais le parfum de l'hypocrisie qui gouvernait leurs esprits malsains. Je révérais leurs éclats de rires sournois et rusés. Je jaugeais cette société trompeuse, qui foisonnait de jalousie, et humait le mépris. J'aimais ces gens déloyaux, matérialistes, et sans aucune moralité. Je considérais ces gens sans aucun intérêt, sans aucune éducation, et sans aucune importance. Des réflexions focalisées sur l'acquisition de faux terrains fantômes, polarisées sur les dernières techniques de lifting aux secrétions de gnomes, et canalisées sur la voyante Fouzia, accueillante au senteurs de chromes. Ces gens la n'étaient pas différents de nous, avec leurs pommettes rehaussées, leurs oncles pédicurés, leurs lèvres botoxées, et leurs porte feuilles haussés. Ces gens étaient simplement superficiels. Tellement superficiels qu'ils se claustraient dans une sphère rétive assez amphigourique, harponnant ainsi aux microbes de saisons fugaces pour leurs bourses. Oui ces gens la sont très délicats, pacque leur immunité est altérée par les antidépresseurs de midi, le tajine de pigeons au Whisky, le vint du déclin, le champagne de la nuit, et la cocaïne de minuit.


Encore une soirée, ou je valse même si rien n'a de sens. Je valse pour exister, saoule et grisée. Je valse dans un monde que je n'ai jamais aimé. Je valse dans un monde que j'ai simplement méprisé. Je valse, j'embrasse tous ces insidieux au regard pernicieux. Je valse, et je regrette mes amertumes. Je valse pour oublier le temps, pour oublier mes démons d'antan, et pour peut être m'oublier.....




Commentaires

  1. ... un texte plein d'amertumes, de regrets et combien triste !

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