La mer des oubliés

Je marche, seul, sur cette étendue de sable morne, humide, fendue de sillons d’algues mortes, sous une nuit d’automne sans étoiles. Il n’y a pas une étoile. Aucune. Le ciel blême s’est vidé de toute lumière, comme s’il voulait souffler aux éternités sa pénitence silencieuse, à jamais. L’air est lourd. Le vent, âpre et salé, insuffle par bouffées, chargé d’anathèmes et de tourments. Devant moi, la mer s’ouvre comme un gouffre muet, vaste et impassible, une bête noire couchée vers l’infini, avaleuse d’âmes, insatiable. J’attends. Nous attendons tous. Les uns recroquevillés, les autres debout, le regard absent. Le passeur est là, silhouette indistincte, à quelques mètres, figé sous l’unique œil d’un projecteur suspendu dans l’obscur. Il n’a pas encore donné l’ordre. Mais il le fera. Il finit toujours par le faire. On dit que des centaines d’âmes tourmentées ont péri ici, dans ce même couloir d’eau noire, happées par les vagues, broyées par les fonds, engloutis dans un laps de tem...