Vagabond
Depuis que j'ai quitté la maison, il y a des années de cela,
je n'y suis pas retourné. C'était une petite maison en pisé, bâtie au fin fond
de la montagne, et par où soufflait un courant d'air glacé, dont la férocité
tournait souvent à la rafale. Le soir, alors que mes frères nourrissaient, un à
un, les moutons, je m'esquivais délicatement et j'allais noyer mes amertumes au
bord de la rivière, et là, plongé dans les étoiles, je me laissais découler paisiblement
au gré des astres, sous les aurores phosphorescents, méditant dans un
demi-vertige, jusqu'aux éternités luminescentes. Dans un sens, j'avais toujours
été vagabond, n'ayant jamais arrêté de vouloir être quelqu'un. De temps à autre naissait quelque utopies sur la
versatilité des choses de ce monde dont le sommet des montagnes m’exhibait la
grandeur, mais bientôt ces idées fortunées sur la justice et l'équité s’effaçaient
dans l’uniformité de mes bouffées d'orgueil, et l'emportaient de haut sur mes
esprits. Est-ce que ce n'était pas absurde de croire qu'on pouvait
d'un claquement de doigts bâtir une fortune, construire des orphelinats, ériger
des écoles, et départager ses biens comme on départage des gâteaux avec des enfants ?!
Pendant plusieurs années, je m'étais battu sans faiblir, à
coups de sabre, ne craignant pas la mort. Une mort rouge. Une mort éternelle
qui achèverait ma misère, sans tenir compte pourtant de mes allures de clochard.
Et ainsi qu'une malédiction aspirant les âmes galvaudées, au milieu de
Casablanca la maudite, se dressait une centaine de mésaventures d'un grand pas,
pauvreté, mendicité, pénurie, viols, dépendances, maladies, récidivités, puis,
les embûches de la rue, une lutte acharnée avec des délinquants, résolus à vous
étriper le ventre, si l'on refusait de leur payer le droit de quémander
quelques dirhams. J'étais si saccagé par ces années de revers, les veines piquées,
les jambes escarpés, le regard vide, qu'il me semblait avoir quarante ans, au
lieu de vingt. Oui, je n'ai que vingt ans ! J'avançais ainsi, jeune, vieux,
accablé par les plus inopinés de tous les fléaux, plongé dans un abime de
déchéance, poignardé par d’horribles
obsessions à travers lesquelles j'avais oublié jusqu'à ma raison, errant ainsi sous
les obscurités de mes quatre saisons. Quand je songe à tous ces larrons, fils
de larrons, dans leurs grands bolides, qui me méprisent dans un grand silence
lorsque je leur sollicite un dirham, se hisse en moi, des hontes, et des répulsions,
que je n' aurait pu expliquer moi-même. La faim, la pénurie, et toutes ces années
de souffrance au travers des abimes, avaient allongé ma colère, saignante, dont
je sentais la chaleur se hisser.
Désespérant de justice sociale, je m'avisai enfin qu'il
restait l'ivresse qui remplace très bien l'extase, réchauffe les cœurs éreintés,
conforte les âmes esseulées, et surtout, confère l'éternité à un esprit libre. Ne
vous étonnez pas de mon ivresse ! Après tout, c'est bien là que je vis, réfugié
dans l'ivrognerie, où vibrent les gémissements de mes appétences, le cri de mes
rêves escamotés, et toutes les doléances de ma destinée basanée. Toute espérance
de vie, s'en était allée dans la ténacité de ce système corrompu. Que cette vie
n'étant qu'un amas d'épreuves, aux souvenirs acerbes, s'achève sous vos
applaudissements. L'idée de ne pas avoir volé des millions à des orphelins, de
n'avoir jamais tourné le dos à mes confrères, de n'avoir jamais arnaqué des
malades, d'avoir été fidèle à mes consciences, empourpre mon visage blafard, à tout
jamais. J'attendrai vos hommages, aussi longtemps que je serai en vie.
J'attendrai vos hommages même après avoir craché ma dernière goûte de sang. Soûl,
grisé, j'ai perdu la tête il y a des années, dans un élan de folie enivré. Mais
ce soir, je suis lucide. Lucide, respirant l'air du douar Ait Hammou, où j'ai
vu le jour. Je picole, et puis je valse. Je valse encore. Je valse toujours, rêvassant en
solitaire, chuchotant à la lumière mes derniers soupirs, jusqu'aux palissades
vives. Aux rayons embrassées de mon existence, je revis le cours de ma vie défiler, et
je compris qui j'étais vraiment.....un rêveur....un rêveur damné....à jamais et pour
toujours. Je compris que malgré toutes mes afflictions, je rêvais d'un univers où tout le monde s'aimerait...où personne
n'aurait plus faim...et où chacun pourrait se soigner gratuitement....Un monde où les apparences n'existeraient plus...
Sous les halos des enfers, je dormirai sans jamais rouvrir
mes yeux à la clarté de la lumière. Je suis un poète à ses heures de gloire, dérouté par les ambiguïtés de sa sensibilité ! Je suis un rêveur maudit, tourmenté par ses démences, n'osant risquer de vous faire attendre....je m'en vais, nu et fier, à jamais....
Un rêveur est celui qui ne trouve
son chemin qu'au clair
de lune
et qui, comme punition, aperçoit
l'aurore
avant les autres hommes.
Oscar Wilde
Aux vagabonds, aux chômeurs, aux miséreux
Aux âmes égarées...
Aux esprits libres...
Aux rêveurs solitaires...
Yamna
plaisir de lire
RépondreSupprimerC'est magnifique, ça me rappelle la chanson une dernière danse de kyo. Je viens de découvrir ce blog, et je ne peux pas m’arrêter de lire.
RépondreSupprimerVous êtes une poète dans l’âme
Hachem de Paris