ما وراء الشمس ...
Près de cent mille personnes étaient au rendez-vous ce soir là. Une
assemblée grouillante, des bruns, des poitrines, des adolescents acnéiques, envahissaient
peu à peu la scène de l'OLM à Rabat, débordant au loin sous l'obscurité funeste
du crépuscule VIP. Une foule de visages rayonnants, des yeux étincelants, des
bouches béantes, des montres étincelantes , des portables onéreux, des corps alléchants,
tout un rut de proies, animés par l'envie de voir une certaine Jessie J. Un peu
plus bas, à grands pas, poussaient les " Ninjas de la nuit ", le flot
des têtes, abreuvé d'ombre, l'air profondément abattu. Des traits, des
cicatrices, étripés par la zelta rouge, prospectant des honoraires, au milieu
d'un concert, où se hissait hardiment l'odeur du dirham. Jessie J ! Jessie Doudia
! N'importe, les seuls réjouissances, c'était de se soûler les neurones, et de pétrir
des mamelons, encore l'alcool vous enflait trop le ventre, et les mamelons,
plus tard retombaient.
Seuls, les étrangers, et les hommes à lunettes, craquaient sous son
talent, tandis que les Ninjas des ténèbres, debout dans leur virulence, avec les
délicates armes de leurs poches, cousues au fil blanc, chevillaient d'un air
violent les êtres misérables qui croisaient leurs regards. Une centaine de ces Samurai
attendaient au tournant, dans l'air frais du déclin, où des arômes de pastilles
au karkobi remontaient du sol; le début du show pour assaillir leurs proies. Et
la voix suave d'une femme, vêtue d'une culotte blanche, baignait cette houle de
sa douce harmonie. Par ses tonalités d'opéra,
sous les aurores phosphorescents, Jessie J, effleurait les étoiles en psalmodiant
sensuellement, ainsi qu'une Diva italienne. Au travers de ce corps nu, mes camarades
s'étonnaient à chaque refrain par une petite gorgée de mahia, de l'air stupide
d'une oie blanche qui ne voit plus sa cage. L'éclat de cette androgyne au
dehors, blanche et rasée, malgré la nuit tombée, demeurait si blanc, qu'il illuminait
promptement la scène, et nourrissait les fantasmes tordus. Mes camarades ne sentaient plus le froid cailler leurs
entrailles, ses ardentes paroles, et sa culotte les avaient chauffés aux
intestins. Une frénésie non religieuse les soulevait de terre, la fièvre de la
voir se déhancher sous les rayons de lumières, qui divisaient en arrêtes âpres la
houle des têtes, enfiévrant leurs chaleurs, par éclats brusques.
On venait de fermer toutes les barrières, et les centaines de
policiers, l'arme au pied, bouchaient la seule entrée demeurée libre, celle qui
conduisait aux coulisses, par un petit passage étroit. D'ailleurs, mes
camarades ninjas ne bougeaient plus. Penchés, d'un air morne, ils se contentaient de projeter un regard âcre
aux nouveaux venus, puis, découragés et sans colère, ils se remettaient à fixer
énergétiquement l'espace VIP, leur rasoirs à la main, frissonnant sous le mince voile de leur shorts, d'avoir des concurrents. D'abord, la bande de Ali baba, une quarantaine au plus,
descendue de la plage de Skhirat, se tint à distance,
ils s'échauffaient en injures virulentes et déchainées, et répétaient d'une
voix fébrile " fin homa drryat, femen, finhoma lbzazel". Ils éprouvaient
cette exaltation rude, ce traumatisme du détenu sorti de prison, affiné par les
réseaux sociaux, bouffi par les graines de fenugrec beldi. Le spectacle de ce Strip-tease
les passionnaient à un tel point, qu'ils
cherchaient des femmes, pour leur tâter les fesses, et leur palper la poitrine.
Près d'eux, un jeune hommes, le teint
nerveusement pâle, avait crié, quand il avait vu sa copine halée comme une vache par des matelots.
Un autre, un homme d'affaire sans doute, sentant encore le silicium, devenait très
rouge, chaque fois qu'il se faisait basculer par les ninjas. Les violences ne
cessaient pas. Les poings ferrés, les mots dégoûtants, des volées d'accusations
et de menaces souffletaient au visage de tout le monde. Une collision
semblait fatale, lorsqu'on vit sortir, derrière la masse, un garçon, avec sa petite
tête de bon élève, bouleversé d'émotions de s'être fait volé son amie, et son Smartphone.
Et, soudain, au milieu de cette fontaine bleue, on aperçût un autre ninja, les poings
en l'air, brandissant lui aussi des cailloux, les propulsant de toute ses
forces sur un vendeur d'alcool, qui se querellait avec un client samurai, parce qu'il refusait
de lui rendre la monnaie.
Hamid, mon camarade ninja, mesurait les brutalités, comme s'il eût participé
à une partie de jiu-jitsu. Oh, oui celui-là bien cogné khoua ! Cet autre là,
pas de chance 3chiri! Et l'autre derrière toi, il a une belle montre, regarde bien ! Est-ce que ça
n'allait pas être bientôt fini, cette sacrée mascarade? C'est vrai qu'on nous
choyait telles des bêtes à Las Vegas de Bouskoura, de la musique dont on ne
saisissait même pas le dialecte, au milieu d'une fureur de gestes brusques, d'attouchements
sexuels, et d'agressions, entrainés dans l'impulsion du moment, sous l’effluve d'un sperme acerbe, et d'un flot de transpirations ! Le plaisir de vivre périt, lorsque l'espoir s'en est allé.
Dans cet élan d'espérance, on se sentait heureux au milieu de ce jardin d'éden
aphrodisiaque. Les ninjas des ténèbres, s'emplissaient les poches à petites monnaies
de vingt dirhams, se frottaient à des femmes à coups de verges saillantes, et
marchandaient quelques graines de hash à petits prix. Nous sommes en chemin, miséreux,
rien à vendre sous la peau, vers la valse des fleurs en musique. Valsons, et valsons comme
des hommes, si encrassés de sueur, que les obscurités s'essouffleront à jamais, ruisselant au loin vers une contrée inconnue. Les
camarades étaient tous présents, ce soir là, jaillissons de vie aux rayons enflammés du soleil de cette délicieuse soirée, et de qui nous étions véritablement.... Nous
sommes ce qu'on appelle " ما وراء الشمس " .....
On écrit pour rendre
justice à la vérité.
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